Florian Thauvin, au Stade-Vélodrome, le 10 août 2018. / BORIS HORVAT/AFP

Florian Thauvin ne parle pas avant les grands matches. C’est une règle que tout le monde connaît à l’OM. Elle est d’autant plus respectée quand se profile un choc contre le Paris-Saint-Germain au Stade-Vélodrome (dimanche 28 octobre, 21 heures) et que l’attaquant marseillais passe sa semaine à courir après le temps, aux prises avec une douleur persistante au pied droit. Mais contre Paris, Florian Thauvin se doit d’être là. Parce que l’OM, sans lui, a été inoffensif, jeudi 25 octobre, contre la Lazio Rome (1-3), qui l’a presque mis à la porte de la Ligue Europa ; pour mettre un terme à 17 rencontres sans victoire contre le rival honni ; et surtout pour tenter, une bonne fois, de donner le coup de grâce à une réputation qui lui colle à la peau comme un mauvais strapping : celle d’un attaquant impuissant face aux cadors du championnat les soirs de gala et distancé en équipe de France par les prodiges Mbappé et Dembelé.

Florian Thauvin avait failli faire un sort à cette réputation la saison dernière, lors de la réception du PSG. A la 78e minute, le gaucher surgit pour marquer, de ce fameux pied droit qui l’embête aujourd’hui, le deuxième but marseillais. Mais Edinson Cavani le privera de la tunique du héros en égalisant à la dernière seconde. « Cette histoire de joueur qui n’est pas décisif dans les grands matches, je n’y adhère pas du tout, s’agace le directeur sportif de l’OM, l’Espagnol Andoni Zubizarreta. Florian ne se cache jamais. Et cette saison, il a déjà marqué contre Lyon et Monaco… En équipe de France, on ne peut pas le juger sur sa seule titularisation contre l’Islande, dans une équipe démobilisée après son titre de championne du monde. »

Depuis le début du championnat 2016-2017, Florian Thauvin affiche des statistiques qui le placent parmi les attaquants les plus efficaces d’Europe : 44 buts, 22 passes décisives en Ligue 1, sans oublier ses 4 réalisations décisives pour envoyer l’OM en finale de la Ligue Europa en mai. De quoi valider sa place pour la Coupe du monde en Russie avec les Bleus.

Faute originelle

« Sur une saison, il a marqué plus de buts pour l’OM que Didier Drogba, André-Pierre Gignac ou Mamadou Niang », calcule Mario Albano, journaliste à La Provence, qui l’a logiquement intégré dans les dernières pages de son livre panthéon Grands buteurs de Marseille (Editions Gaussen, 224 pages, 28,50 euros). Dans la préface qu’il signe, l’attaquant croate Josip Skoblar, 176 buts pour l’OM, l’accueille même dans la lignée des légendes olympiennes. « Avec cette particularité de ne pas être un avant-centre, mais un attaquant qui arrive d’un côté pour marquer », complète Albano. La spéciale de ce gabarit de 1m79 pour 70 kilos ? Dribble intérieur, accélération ponctuée d’une frappe enroulée du gauche. Létal.

« C’est lui notre grand attaquant. Il a montré du caractère, de la volonté pour réussir à s’imposer à Marseille »

Dans le vestiaire olympien, tout le monde reconnaît l’importance de « Flo ». « Les chiffres parlent pour lui. Il a été énorme. Et humainement, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup… » abonde son coéquipier en sélection, Adil Rami. « C’est lui notre grand attaquant. Il a montré du caractère, de la volonté pour réussir à s’imposer à Marseille », félicite encore Omar Keddadouche, commentateur régulier de talk-shows autour de l’OM sur les radios locales. Un résumé de ce que pense désormais le supporteur marseillais d’un joueur longtemps sifflé et mal-aimé.

L’histoire débute par une faute originelle. Meilleur espoir de la Ligue 1 en 2013 après une saison pétaradante avec Bastia, Thauvin doit rejoindre Lille en juin, mais préfère mettre le cap au Sud. « On le voulait depuis longtemps mais Lille a été plus rapide que nous… » se rappelle Elie Baup, entraîneur de l’OM à l’époque. Les dirigeant marseillais l’arrachent au prix d’un bras-de-fer avec le club nordiste et de 15 millions d’euros. Le champion du monde des moins de 20 ans avec l’équipe de France incarne alors la figure du mercenaire capable de planter le piquet de grève de l’entraînement pour arriver à ses fins. Il est sifflé sur tous les stades de Ligue 1. Le doute s’étend même jusqu’à l’OM. « J’ai vu arriver ce gamin avec une ligne jaune dans les cheveux… Je me suis dit : c’est qui encore, ce petit con ? » se souvient Elodie Malatrait, responsable des « pôles presse » du club, devenue depuis une de ses proches. « Les gens l’ont mal jugé », regrette le gardien de but Steve Mandanda, le premier à le prendre sous son aile.

Départ à Newcastle contre son gré

« A la Coupe du monde, j’ai découvert un garçon poli et surtout très sensible », s’étonne encore Théo Schuster, l’auteur du documentaire Au cœur de l’épopée russe. Le réalisateur se souvient d’un tête-à-tête émouvant dans la chambre de l’attaquant à la veille du huitième de finale contre l’Argentine (4-3). « Il était au bord des larmes. Pour lui, c’était clair, comme il n’avait pas joué en phase de poules, il pensait qu’il ne rentrerait pas du Mondial. » Le lendemain, Didier Deschamps l’appelle pour remplacer son grand ami Kylian Mbappé à la 89e minute. « Cela l’a totalement reboosté. Il s’est senti à nouveau faire partie du groupe et pleinement champion du monde », reprend Théo Schuster.

« Personne ne m’a tendu la main à l’époque »

Des coups de blues, Florian Thauvin en a vécu d’autres. A l’arrivée de l’Argentin Marcelo Bielsa à l’OM au printemps 2014, qui voit pourtant en lui « un joueur qui peut devenir un des meilleurs du monde », il se consume dans le football total prôné par son nouvel entraîneur. « Il forçait ses qualités, la percussion, les dribbles, la frappe… Mais le foot, c’est aussi se replier, faire des appels, courir, travailler pour les autres. Et ça, il ne l’avait pas encore », décrypte Elie Baup. Thauvin broie alors du noir. « Je l’ai eu quelquefois au téléphone durant cette période où cela n’allait pas trop. Il doutait, par rapport à lui, au public, à Marseille… », raconte le champion du Monde 1998 Alain Boghossian, ancien de la maison olympienne.

Mais le pire est encore à venir. Bielsa claque la porte de l’OM et, à la sortie d’une défaite à Reims en août 2015, Vincent Labrune, le président marseillais, originaire comme lui d’Orléans, le retient sur le banc de touche pour lui annoncer son transfert immédiat vers Newcastle, dans le nord de l’Angleterre. Cinq ans de contrat, 18 millions d’euros d’indemnité. Le club, aux abois financièrement, ne laisse aucun choix à son joueur. « Personne ne m’a tendu la main à l’époque », se souvient-il avec douleur.

Gros caractère

Après seize matches et un but, Newcastle renvoie le colis à l’OM en prêt. « C’est comme quand un enfant part en colonie puis rentre chez ses parents », dira Florian Thauvin, qui, pour l’occasion, accepte une baisse de salaire. Rehaussé depuis, selon le quotidien l’Equipe, à 450 000 euros bruts mensuels. Au fond du trou en janvier 2016, il fixe lui-même son déclic au 18 mars de la même année. Ce jour-là, l’OM coule contre Rennes à domicile (2-5), et lui, reçoit une bouteille d’eau en plastique à moitié vide dans le dos. Ce geste détestable d’un supporteur furibard le libére. « Je me suis dit que je ne pouvais plus me laisser marcher dessus », raconte-t-il dans un reportage, L’Envol, produit par le club. « Je ne pensais pas qu’il allait surnager car j’en ai vu beaucoup sombrer dans les mêmes conditions. Mais quand on a le caractère de réagir à ça, c’est qu’on fait partie des grands joueurs », jauge Gérard Gili, entraîneur des années Tapie.

Relancé avec Marseille, champion du monde, Florian Thauvin peut-il encore séduire un club étranger ? Il est désormais représenté par le très influent Jean-Pierre Bernès et certains l’imaginent déjà au Bayern Munich, successeur idéal au vieillissant Arjen Robben. « Son prix ? s’interroge Andoni Zubizarreta. Thomas Lemar est parti pour 72 millions d’euros à l’Atletico Madrid. Malcom, pour 41 millions à Barcelone. Florian est de ce niveau-là. Mais si nous voulons être à la hauteur de la Ligue des champions, c’est le genre de joueur que nous devons garder. » « J’aimerais qu’il s’inscrive avec nous dans un temps le plus long possible », confirme Jacques-Henri Eyraud, le président de l’OM. Bien conscient que l’amour du maillot, cette fois, ne suffira pas.