Au Memorial Hall and Museum des soldats et des marins de Pittsburgh, le 28 octobre, au lendemain de la tuerie. / Matt Rourke / AP

Thomas Holber, 63 ans, fait partie des vieilles familles juives qui s’installèrent dans la cité sidérurgique de Pittsburgh au milieu du XIXe siècle et y prospérèrent dans le quartier cossu de Squirrel Hill. Jusqu’à ce samedi matin 27 octobre, lorsque, au cri de « Tous les Juifs doivent mourir ! », Robert Bowers, 46 ans, est entré dans la synagogue de la congrégation Tree of Life (« arbre de vie ») et a assassiné, avec un fusil d’assaut et trois pistolets, 11 fidèles. « J’ai vu cela en Europe, en Union soviétique, mais je n’ai jamais pensé que cela arriverait en Amérique, s’afflige ce dentiste. Désormais, je regarderai derrière mon épaule et j’identifierai les sorties de secours. »

L’attaque antisémite est la plus meurtrière ayant jamais eu lieu aux Etats-Unis. Le précédent le plus grave remonte à 1985, lorsqu’un homme avait tué quatre membres d’une même famille à Seattle, croyant à tort qu’ils étaient juifs. En 2014, un suprémaciste blanc avait ouvert le feu sur un centre communautaire juif du Kansas, tuant trois personnes. Mais jusqu’à présent, les juifs américains se sentaient protégés. « J’ai été très surprise que cela arrive dans un quartier aussi calme, aussi juif », confie l’étudiante Abigaïl Fowner, 18 ans, venue se recueillir à la mémoire des victimes. Un sentiment partagé par l’ancien rabbin de Tree of Life, Alvin Berkun, interrogé par le New York Times : « Les deux lieux les plus sûrs que je connaisse sont Squirrel Hill et Jérusalem. J’ai vécu aux deux endroits. »

Dimanche soir, en se rendant sur les lieux du drame, on aurait voulu le croire. Une avenue commerçante, avec ses magasins et son centre communautaire juifs – dont la piscine avec ses quelques heures d’ouverture non mixte –, mais aussi des restaurants italiens, des commerces asiatiques et une énorme église protestante. Puis une rue arborée bordée de maisons bourgeoises, et sur la colline, en face de l’université Chatham, la synagogue. Un lieu jusque-là paisible.

« La haine ne nous divisera jamais »

La police a donné le nom des victimes. La plus âgée, Rose Mallinger, avait 97 ans. Lorsque les coups de feu ont retenti, un de ses amis a immédiatement pensé à elle : jamais elle ne manquait un service, arrivant toujours parmi les premiers. Elle a été emportée dans ce qui fut, selon le FBI, une boucherie. Les victimes étaient âgées – le plus jeune avait 54 ans –, notamment parce qu’en ce jour « normal » de shabbat, où aucune mesure de sécurité particulière n’avait été prise, seuls les membres les plus actifs et donc âgés de la communauté étaient présents.

Pittsburgh a fait corps. Les policiers sont intervenus immédiatement – quatre ont été blessés –, à la différence de ce qui s’était passé pour le lycée de Floride en février (19 morts). « Ils ont couru sous le feu pour aider les autres », a salué le chef de la police, Scott Schubert. Une cérémonie œcuménique a été organisée dimanche après-midi, tandis que le maire de la ville, le démocrate Bill Peduto, a appelé au rassemblement : « Nous savons que la haine ne nous divisera jamais. » Cette attitude était patente, à 100 mètres de la synagogue, bouclée par la police : des fleurs et des mots de concorde avaient été déposés, tandis qu’on y croisait des juifs et des non-juifs venus se recueillir.

Ce dimanche, chacun se rassemble… contre Donald Trump, accusé de faire passer l’extrême droite des paroles aux actes, alors que les « incidents antisémites » ont augmenté de 57 % en 2017 (1986 cas, selon l’Anti-Defamation League, association historique de lutte contre l’antisémitisme). « M. Trump encourage la frange des gens qui sont borderline », accuse Thomas Holber, qui rappelle qu’en 2017 à Charlottesville (Virginie), « des néonazis ont pu défiler à visage découvert » et que « Donald Trump a renvoyé dos à dos les deux camps », alors qu’un néonazi avait écrasé une militante de gauche avec sa voiture.

« Je ne suis pas surprise »

Joy Katz, juive new-yorkaise de gauche installée à Pittsburgh depuis neuf ans, avait senti le vent mauvais. « Je ne suis pas surprise. Cela arrive partout dans le monde. Je m’attendais à quelque chose de ce genre. » Cette écrivaine de 54 ans, professeure de poésie, dénonce la rhétorique de M. Trump. « Quand il dit “George Soros”, c’est un code pour désigner les juifs. Quand il dit “globalisme”, aussi. Par ses propos, il alimente les antisémites. »

L’attentat de Pittsburgh s’inscrit dans une série interminable de fusillades de masse : contre une boîte gay d’Orlando (49 morts en 2016) ou une église noire de Caroline du Sud en 2015 (9 morts). La tuerie de la synagogue est-elle d’une même essence ? « Ce n’est pas très différent d’une tuerie dans une église. Pour moi, le crime est le même », hésite Joy Katz. La protestante Dawna Duff, professeure d’université venue se recueillir, est plus mitigée. « C’est comme dans une église, mais il y a quelque chose de différent, une histoire, une résonance différentes. » En réalité, l’angoisse est de savoir si les juifs américains sont rattrapés par l’antisémitisme qu’ils avaient cru – en partie – laisser derrière eux en franchissant l’Atlantique. « J’ai peur de dire que nous pourrions être au début de ce qui est arrivé à l’Europe, des attaques antisémites consistantes », a déclaré au New York Times le rabbin Marvin Hier, fondateur du centre Simon-Wiesenthal de Los Angeles.