AUREL

L’affaire a provoqué des condamnations unanimes dans le monde universitaire. Une étudiante en deuxième année de médecine à l’université Paris-XIII, en banlieue parisienne, a témoigné de propos antisémites dont elle aurait été victime, de la part d’un groupe d’élèves de sa promotion, depuis six mois. Le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire, lundi 29 octobre, confiée à la sûreté territoriale, suite à la plainte de la jeune fille pour injures à caractère raciale, déposée une semaine plus tôt.

« On est passé des blagues sur la Shoah à des saluts hitlériens, puis on invente un jeu qui s’appelle le frispa” [contraction de frisbee et kippa], le lancer de kippa qu’on jette par terre », a raconté l’étudiante de 20 ans au micro d’Europe 1, lundi. « Mais vous, les juifs, vous n’avez pas d’humour, c’est du second degré », lui répondent des étudiants, quand elle leur demande de cesser leurs remarques antisémites.

Informée de la situation le 20 octobre, l’université a immédiatement reçu l’étudiante, puis ses huit camarades visés par les faits, avant d’ouvrir une procédure disciplinaire, et de saisir le procureur de la République, sur la base de l’article 40 du code pénal.

Classements des étudiants juifs

L’étudiante qui souhaite rester anonyme, accompagnée par son avocat Me Antonin Péchard, se serait retrouvée « montrée du doigt » et « harcelée », après s’être insurgée contre les propos de ce groupe d’étudiants – initialement son groupe d’amis, dont elle s’est peu à peu éloignée. Un climat tel qu’elle a préféré ne pas participer au week-end d’intégration de la fac de médecine à la mi-octobre – un événement « pour lequel on lui a fait comprendre qu’il valait mieux qu’elle ne vienne pas », rapporte Me Péchard.

Des faits à caractère antisémites lui auraient été rapportés de ces deux jours festifs placés sous le signe des Dieux de l’Olympe, d’après les sources du Monde, comme le déguisement d’un étudiant en « dieu de l’avarice », pourvu d’une kippa, qu’il aurait jetée à terre. Une kippa qui appartiendrait au grand-père du jeune homme…

Les discussions en ligne autour du prochain week-end d’intégration auraient été la « goutte d’eau qui a fait déborder le vase » pour la jeune fille, qui a saisi le parquet quelques jours plus tard, rapporte son avocat.

Lors d’échanges sur Facebook, que Le Monde a pu consulter, ce groupe d’étudiants aurait évoqué des idées de thèmes comme « bob Auschwitz 2019 » (« bob » désignant le week-end d’intégration), « bobRafle » ou encore « bob [nom de famille de l’étudiante] 2019 ». Sans compter plusieurs messages dans lesquels ils classaient des étudiants juifs de la promotion, avec un chiffre et un commentaire.

Des « faits profondément inacceptables »

D’après une source proche du dossier, les huit étudiants et étudiantes visés, actuellement en deuxième et troisième années de médecine, avec parmi eux des jeunes de toutes confessions, y compris juives, se seraient défendus en assurant que ces propos, partagés au sein de groupe de messagerie privés, relevaient de « l’humour noir », qu’ils pratiquent pour « toutes les communautés ».

« Il y a eu une banalisation des propos antisémites et racistes qui est intolérable, réagit Jean-Pierre Astruc, président de l’université Paris-XIII 13, qui souligne le caractère inédit de tels faits dans son établissement. Ces étudiants ne se rendent pas compte de la portée de leurs mots dans le monde virtuel ». L’universitaire a été reçu par la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, lundi 29 octobre, après que celle-ci a dénoncé des « faits profondément inacceptables ».

A peine quelques jours plus tôt, elle avait réuni, le 23 octobre, les principaux acteurs de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, à la suite de la multiplication des tags, graffitis et expressions antisémites constatés cette année dans des établissements d’enseignement supérieur. Lors de ce point d’étape, elle avait annoncé que des référents « racisme et antisémitisme » étaient désormais présents dans « la quasi-totalité » des établissements, et évoqué le lancement de campagnes de communication sur le sujet.

Cellule d’écoute psychologique

« Nous allons très rapidement organiser des amphithéâtres pour sensibiliser l’ensemble de la communauté sur la question », confie le président de l’établissement francilien, qui compte en son sein deux « référents » en charge des questions de racisme et d’antisémitisme. Une cellule d’écoute psychologique va également être mise en place, dès mardi, à l’adresse des protagonistes de l’affaire. « Cette étudiante a fait part d’un ressenti important d’insécurité, indique le président. Nous allons discuter avec elle pour voir comment la rassurer au sein de l’université ou si cela n’est pas possible, trouver la solution qui lui convient le mieux. »

Pour Sacha Ghozlan, représentant de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), qui a accompagné l’étudiante de Paris 13 dans ses démarches depuis dix jours, « au-delà de ce cas très grave, on constate que l’université n’est plus un rempart à la haine », s’inquiète le jeune homme. « Ces faits doivent provoquer une prise de conscience, espère-t-il. C’est l’affaire de l’ensemble de la communauté universitaire, chacun doit prendre ses responsabilités, y compris chez les étudiants, pour que cela ne se reproduise pas. »