Il est 14h50, mardi 30 octobre, Roger Federer arrive sur le court d’entraînement n°4 du parc de Bercy. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Depuis lundi, dans les travées du Masters 1000 de Paris, organisateurs, journalistes et spectateurs se livraient à un drôle de jeu de piste. Ce n’était pas la chasse au dahu mais celle au gros gibier suisse. Dimanche, après le 99e titre de sa carrière, chez lui à Bâle, Roger Federer avait laissé entendre qu’il viendrait prendre la température à Bercy ce mardi avec l’idée de s’aligner sur le court central mercredi. « C’est l’idée, mais vous verrez bien si j’arrive à Paris ou pas », avait-il glissé dans un sourire. L’humour helvète sans doute.

Depuis, chacun guettait la confirmation de sa participation ou l’annonce d’un éventuel forfait. Mais les heures passaient et rien ne venait. Pas le moindre communiqué, pas le moindre Tweet à se mettre sous la dent pour déceler des signaux positifs. Guy Forget, qui n’avait pas réussi à le convaincre de jouer l’an dernier, était proche de l’apoplexie. Après une sinistre édition (absences de Federer et Djokovic, forfait de Nadal avant les quarts) qui culmina par une improbable finale entre Filip Krajinovic et Jack Sock remportée par ce dernier, la présence de Federer devait sauver à elle seule la cuvée 2018 de la piquette.

Et puis tout ce qui devient rare est précieux. Le Suisse snobe la capitale depuis trois ans et sa défaite au troisième tour de Bercy face à John Isner, en 2015. Trois ans que Sa Majesté rechigne à venir saluer ses sujets parisiens. Sur un court de tennis du moins car pendant qu’on pleurait son absence à Roland-Garros, fin mai, il trinquait – avec modération – lors d’une soirée parisienne Moët & Chandon.

« J’ai l’impression de couvrir le PSG »

Pendant qu’on guettait l’apparition du Suisse, plus personne n’avait un œil sur les matchs, obsédé par une seule question : Roger Federer allait-il oui ou non faire son apparition ? « Sœur, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » Dans la matinée, toujours aucune trace de son arrivée sur le sol français. Depuis la veille au soir, on savait que le vainqueur de l’édition 2011 avait réservé un créneau d’entraînement sur un court annexe, mardi après-midi, et qu’il annoncerait « la décision » dans la foulée. Après le déjeuner, certains font déjà le pied de grue dans le parking du tournoi, d’autres à l’entrée des courts annexes.

Et puis soudain, une clameur : à 14 h 03, les caméras de Canal + viennent de filmer son arrivée, puis sa poignée de main avec Guy Forget, le directeur du tournoi, béat comme un enfant devant le sapin de Noël. A 14 h 32, Roger Federer franchit la porte du centre d’entraînement, salue Lucas Pouille, taille le bout de gras quelques instants avec son ami Tommy Haas (conseiller de Pouille) puis part s’étirer. A 14 h 48, les journalistes aux abois, dans le hall d’ordinaire désert des courts d’entraînement 3 et 4, lui réservent malgré eux une haie d’honneur au moment où il les croise. Chacun a conscience du ridicule de la situation mais, comme fait remarquer un confrère, « Federer n’est pas au-dessus des lois, Federer c’est LA loi ». « J’ai l’impression de couvrir le PSG », soupire une consœur.

Assis dans un canapé, Guillaume Rufin, son sparring-partner du jour, a le droit à un regard en coin de l’ex-numéro un mondial, qui semble dire « eh bien mon grand, tu n’es pas déjà sur le court à m’attendre ? ». Le Français sursaute et rapplique. Devant la nuée de journalistes et photographes, un dispositif exceptionnel s’improvise : chacun est autorisé à assister à dix minutes de son entraînement, par groupe de 4. Alexander Zverev, qui sort du court, doit se demander quand lui aussi aura le droit à de tels honneurs. A 15 h 08, Nelson Monfort débarque la bouche en cœur, mais doit patienter comme tout le monde.

Six minutes chrono pour l’épier à l’entraînement

A 15 h 19, c’est enfin notre tour. Que voit-on ? Un joueur qui répète ses gammes au service, puis en retour de service, bref un entraînement de tennis, le tout en six minutes chrono puisque à 15 h 25, c’est déjà l’heure de laisser la place aux suivants. Direction la salle de presse, où à 15 h 50, une annonce retentit : « ROGER FEDERER DANS CINQ MINUTES ». Stupeur et tremblements. Le Suisse en conférence de presse, ce n’est pas très bon signe, pense-t-on, surtout qu’il a écourté son entraînement après une quarantaine de minutes seulement.

Quand il se présente devant micros et caméras, le visage fermé, l’assistance retient son souffle. Federer, emmitouflé dans un duffle-coat anthracite à capuche, a tout du joueur qui a déjà un pied à l’aéroport de Roissy. Jusqu’au bout, il aura ménagé le suspense. La première question fuse : « La question que tout le monde se pose : allez-vous jouer demain ? » Roulement de tambours. Sourire en coin de l’intéressé : « Oui, autrement je ne serais pas assis ici, je serais parti. Je suis heureux d’être ici, j’aime bien jouer ici, ça fait longtemps que je ne suis pas venu. Le corps va bien, le mental aussi. Donc oui, je serai là, je suis excité. » A Bercy, le maître des horloges s’appelle Roger Federer.