L’éditeur Artus continue la parution en DVD/Blu-ray de l’œuvre atypique de Lucio Fulci, cinéaste italien dont la notoriété est parvenue à dépasser le cercle enthousiaste mais restreint des amateurs de films d’horreur, pour trouver sa place dans une histoire du cinéma, disons, plus « noble ». Le luxe de ces éditions Blu-ray, le travail ­conséquent accompli en matière de suppléments (analyse, interviews de comédiens et de collaborateurs artistiques) nourrit ici bien plus que le simple fétichisme du cinéphile obsédé et minoritaire.

Soumis aux vicissitudes de la fabrication du cinéma populaire transalpin, Fulci, qui est passé par tous les genres avant peut-être d’en inventer un, a engendré une œuvre d’une poésie toute personnelle dont on mit parfois un peu de temps pour la considérer comme telle. Le succès de L’Enfer des zombies (1979, déjà publié par Artus) engagea encore davantage le cinéaste sur la voie de l’horreur graphique.

Frayeurs (1980) et L’Au-delà (1981) doivent moins à une catégorie préétablie qu’à une manière de se libérer des contraintes narratives imposées jusqu’alors par les genres cinématographiques. Ils suivent une logique propre, quasi autonome, onirique, tirant parti de certaines ­contraintes (morts-vivants imposés par un des coproducteurs de L’Au-delà) qui ne font qu’accroître une certaine confusion et nourrir une évidente liberté.

Frayeurs - Film-annonce
Durée : 02:59

Les deux films se veulent d’inspiration lovecraftienne et construisent leur récit sur un postulat plutôt mince (les portes de l’enfer s’ouvrent dans une petite ville américaine, provoquant désastres et morts atroces) laissant libre cours à l’imagination fertile et morbide de Fulci et de ses scénaristes. Pluies de vers, murs qui saignent, attaque de tarentules anthropophages plongent les protagonistes au cœur d’un cauchemar dont ils ne se réveillent jamais.

Putréfaction générale

La mise en scène est au service d’une atmosphère de putréfaction générale et Fulci pousse encore plus loin que dans ses titres précédents l’hyperréalisme d’une violence gore (crânes broyés, énucléations diverses, cadavres de fœtus dévorés par la vermine) qui rejette tout réalisme pour inventer les motifs d’un pur cinéma de la transe et de la sensation. Roublardise ou aveu sincère, Fulci s’était réclamé du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud pour justifier ses audaces et ses transgressions visuelles. Cela se tient.

L'au-delà - Film-annonce
Durée : 03:25

C’est sans doute dans l’invention d’un rythme tout particulier que le cinéma de Fulci se distingue. Les séquences sont toujours trop longues. Revenir à la sensation nue implique tout à la fois une dilatation des situations et une progression bancale, faite de soubresauts, d’accélérations et de revirements brusques, de péripéties dont l’apparente gratuité fait justement la valeur. Frayeurs et L’Au-delà sont finalement davantage des films-concepts que des films de genre, derrière l’apparente séduction à rebours de l’épouvante gore. Le réalisme de la violence y est, paradoxalement, au service d’une forme d’abstraction.

Frayeurs et L’Au-delà, 2 DVD/Blu-ray + livret Artus Films.