Javier Tebas, le 2 octobre, à Madrid / PAUL HANNA / REUTERS

Javier Tebas est en croisade. Le bouillonnant président de la Liga, la ligue professionnelle de football espagnole, a profité de sa présence à Paris, mardi 30 octobre à l’occasion d’une conférence au Sport Innovation Summit, pour rencontrer plusieurs journaux, dont Le Monde, et poursuivre sa guerre ouverte contre le Paris-Saint-Germain qu’il accuse de tricher avec les règles du fair-play financier.

« Le fair-play financier (FPF) dit que quand tu triches, tu dois être exclu. Je ne peux rien dire de plus. C’est pour ça qu’on a le FPF », répète-t-il depuis plusieurs mois. Mais il le jure : son combat n’a rien de personnel. « Ce n’est pas moi qui le dit. Mais l’UEFA (Union des associations européennes de football). L’UEFA a déjà ouvert une enquête, a obligé le PSG à vendre des joueurs pour 60 millions d’euros. Une deuxième instance a décidé que ce n’était pas suffisant et qu’il fallait étudier et corriger les contrats de sponsoring comme celui avec QTA [l’office du tourisme du Qatar], qui n’est pas réel. Ils ont dit que les prix des sponsors n’étaient pas corrects. C’est mot par mot ce qu’ils ont écrit»

L’instance européenne a ouvert une enquête en septembre 2017 sous la pression de plusieurs places fortes du football européen, notamment en Espagne (FC Barcelone, Real Madrid), où a évolué pendant quatre saisons le Brésilien Neymar, avant d’être recruté par Paris contre 222 millions d’euros, un record. Somme à laquelle il fallait ajouter le montage financier – 180 millions d’euros – pour l’acquisition, sous la forme d’un prêt, de Kylian Mbappé. L’enquête de l’ICFC, l’instance chargée du contrôle financier des clubs de l’UEFA, avait dans un premier temps été close en juin, avant d’être rouverte un mois plus tard.

« Pas une fixation sur le PSG »

Il régnait comme une ambiance de fronde anti-PSG dans les locaux du Medef, dans le 7e arrondissement à Paris, où se déroulait le Sport Innovation Summit. Le président de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas, a fait irruption dans l’auditorium et adressé un petit sourire de connivence, le pouce levé, à son homologue et rival marseillais, Jacques-Henri Eyraud, qui débattait avec Javier Tebas.

Les oreilles du patron qatari du club parisien, Nasser el-Khelaïfi, ont dû siffler, bien que Javier Tebas assure « ne pas faire une fixation sur le PSG » Il dit avoir « dénoncé Manchester City », qui a dépensé 976 millions d’euros pour constituer son effectif actuel. « Nous regardons ce qui se passe dans d’autres clubs en Europe. Le PSG est le cas le plus flagrant, le plus visible. »

Javier Tebas opère toutefois une distinction et estime que les deux clubs, ces « parvenus » du ballon rond, l’un détenu depuis 2011 par le fonds Qatar sports Investments (QSI), l’autre par cheikh Mansour d’Abou Dhabi (Emirats arabes unis) depuis 2008, ont un modèle différent : « Le PSG a été plus loin avec des sponsors qui n’en sont pas, comme QTA. Manchester City est plus dans une gestion de groupe », estime l’avocat de formation.

Selon lui, ces deux « nouveaux riches » sont « sans doute » responsables de l’inflation du prix des transferts qui touche le football européen : « Dans n’importe quel secteur économique, il y a deux type d’inflation : la bonne et la mauvaise. Si les salaires des joueurs, le prix de leur transfert, suivent la courbe des montants des droits TV, c’est normal. L’inflation devient mauvaise quand son origine ne vient pas de l’industrie, du business du football mais du gaz ou du pétrole ! Cela oblige les autres clubs, qui n’ont pas l’appui d’Etats, à augmenter les montants de salaires à cause de l’argent qui n’est pas généré par le secteur. »

« J’écoute seulement ma femme et pas tout le temps »

Pis, selon lui, la position de Nasser el-Khelaïfi, à la fois président du PSG et de la chaîne Bein Sports diffuseur de compétitions de l’UEFA dans certains pays, serait le signe d’un conflit d’intérêt : « Les règles de bonne gouvernance et de transparence de toute organisation et entreprise dans le monde détermineraient que nous sommes confrontés à un conflit d’intérêts. »

En août, en marge du tirage au sort de la Ligue des champions, le patron du PSG lui a intimé en public de cesser ses critiques. « Mais j’écoute seulement ma femme et pas tout le temps », plaisante l’Espagnol.

Le truculent dirigeant insiste. Il ne défend pas les intérêts des deux grands clubs espagnols, le Real Madrid et le FC Barcelone, et le transfert de Neymar du club catalan vers le PSG à l’été 2017 n’a pas été le déclencheur de sa croisade contre le PSG : « Au mois de mars 2017, cinq mois avant le transfert de Neymar au PSG, j’ai eu une réunion dans mon bureau, à Madrid, avec Nasser [Al-Khelaïfi, président du PSG] et je lui ai dit que j’allais dénoncer ces irrégularités que j’ai évoquées. »

« En privé, beaucoup de gens me soutiennent »

Se posant en défenseur de « l’équilibre économique » et de « l’industrie du football en Europe », Javier Tebas dit se « fier » à l’UEFA et au FPF. Mais il prévient : « on verra si je fais encore confiance après les enquêtes. J’aimerais que les procédures aillent plus vite. » Il dit attendre de l’UEFA qu’elle « suive les règles du FPF et que les sanctions soient celles qui correspondent aux règlements. »

Le président de la Liga assure que plusieurs clubs, dont la Juventus Turin, se sont ralliés à sa cause. « En privé, beaucoup de gens me soutiennent. En public, moins, se gausse-t-il. C’est dur pour les clubs de l’affirmer publiquement par rapport au système. Mais cela ne me préoccupe pas. Si j’étais seul, je ferais la même chose. »

Sur tous les fronts, Javier Tebas a toutefois décidé d’un peu lever le pied en cédant son siège au Conseil stratégique du football de l’UEFA. « Je considère que je ne pouvais rien apporter. C’est un organe qui n’a pas la capacité de décision. J’y perdais mon temps », lâche-t-il, hilare, avant de mettre un terme à sa tournée médiatique en France et de reprendre son avion pour mener vers d’autres cieux sa croisade anti-PSG.

Hostile au projet de réforme de la Coupe du monde des clubs

  • Coupe du monde des clubs : le président de la Fédération internationale de football (FIFA), Gianni Infantino, veut réformer cette compétition à partir de 2021. « Nous ne croyons pas que le foot professionnel ait besoin de nouveaux tournois, on a besoin d’une réflexion pour que les tournois déjà existants soient complémentaires, estime Javier Tebas. Le projet est dangereux pour les Ligues nationales. On doit considérer que l’UEFA est cinq fois plus importante économiquement que la FIFA et que ce type de nouveaux tournois représente une attaque contre l’industrie de l’UEFA. »
  • Délocalisation d’un match de Liga aux Etats-Unis : M. Tebas veut que le match Gérone-Barcelone se tienne en janvier à Miami. Le veto posé par la FIFA le laisse de marbre. « Nous irons devant le Tribunal arbitral du sport ou devant les tribunaux. Nous avons le droit légal et éthique de le faire. Quatorze clubs de la Liga espagnole sont pour. Quel est le problème ? »
  • Droits télé en France : M. Tebas se réjouit de l’arrivée en France du groupe espagnol Mediapro, qui a raflé, en mai, les droits télé de la Ligue 1 pour le cycle 2020-2024. Avec une enveloppe qui est passée de 726,5 millions d’euros par an sur la période 2016-2020 à 1,153 milliard d’euros annuels, « c’est bon pour le foot français, déclare le dirigeant. Mediapro a rapproché la Ligue 1 de la valeur qu’elle a réellement. Mediapro va s’attirer beaucoup de critiques, comme en Espagne. Mais patience… »