Tony Chapron, ici en avril 2017, lors d’un match entre Angers et Paris-Saint-Germain. / FRED TANNEAU / AFP

C’est l’histoire d’un arbitre pas comme les autres auquel on a pourtant fait porter tous les maux de sa corporation : autoritarisme, psychorigidité, incompétence. Que Tony Chapron ait distribué en moyenne moins de cartons que ses confrères, qu’il ait été bien noté et ait accédé au statut international n’a en rien infléchi la détestation dont il a fait l’objet.

Lui-même a semblé contribuer à ce statut de bouc émissaire : après plusieurs saisons discrètes, il a été l’auteur d’une sortie fracassante avec son « tacle » sur le Nantais Diego Carlos lors de Nantes-PSG en janvier.

Contrairement à Zinédine Zidane, qui lui aussi mit fin à sa carrière d’un ultime geste absurde, Tony Chapron n’assista pas à un défilé d’éditorialistes, de politiques et de philosophes pour le défendre. Il fut même lâché par sa hiérarchie et la Fédération qui le priva, en alourdissant sa suspension en appel, d’un dernier match pour clore ses quatorze saisons en Ligue 1.

Dans le vif de l’arbitrage

Enfin Libre !, qui sort le 7 novembre (éd. Arthaud), n’est pas une autobiographie. L’auteur n’y raconte que sa vie d’arbitre, livrant à la fois des réflexions sur l’exercice de l’arbitrage, ce passionnant sacerdoce, et un éclairage cru sur les coulisses de sa profession. L’ouvrage est conforme à l’homme, réputé intelligent, mais véritable aimant à polémiques.

La dernière partie est ainsi consacrée à des « propositions pour l’avenir », qui méritent discussion. Auparavant, l’ouvrage évoque les relations avec les joueurs, entraîneurs et dirigeants et s’attache à démonter les « préjugés » sur sa corporation : manque de psychologie, impunité, corruption, etc.

Il abandonne un peu sa posture défensive quand il entre dans le vif du rapport aux règles, de leur application, de leur interprétation ou de leurs changements avortés. Mais on retiendra surtout le réquisitoire contre les instances de l’arbitrage, à commencer par la Direction
technique de l’arbitrage (DTA), dirigée, depuis 2013, par Pascal Garibian.

« Parole muselée »

Le mutisme des arbitres est un reproche souvent entendu à leur encontre, et les intéressés sont les premiers à le déplorer… en off, car il résulte de l’interdiction de s’exprimer sans l’aval de leur organe de tutelle.

Le propos de Chapron est que, s’il s’agit d’une (mauvaise) stratégie de communication, c’est surtout une méthode de management néfaste. Car cette « parole muselée » des arbitres d’élite permettrait de les maintenir dans une position de stricte subordination.

Tony Chapron décrit un système dans lequel les performances passent après les gages de soumission à l’autorité. La notation, réformée par Pascal Garibian, permet de corriger le classement technique d’un arbitre au travers de ce qui est qualifié de « note de
vie scolaire »
inventée « pour évaluer le degré de docilité » : « On se pare d’instruments pour justifier cette note : la rigueur administrative, le suivi médical, la disponibilité, etc. C’est le concours de l’élève le plus zélé. »

Saïd Enjimmi et Stéphane Lannoy paieront ainsi des entretiens critiques par des classements inhabituellement médiocres dans leur carrière, estime leur confrère. Lui-même attribue son statut de réfractaire à son expérience de syndicaliste au sein du Syndicat des
arbitres français de l’élite (SAFE), initiateur de plusieurs frondes, notamment en 2011.

« Eviter l’hallali »

Ce management autoritaire du corps arbitral œuvre contre la solidarité en son sein, avance Chapron, et favorise les visées carriéristes. Le tableau qu’il dresse des rivalités, des trahisons et des calculs n’est guère flatteur. D’autant qu’en privilégiant les profils lisses – Benoît Bastien et Clément Turpin y sont décrits en favoris de l’institution –, la DTA nuirait à l’émergence d’arbitres de niveau international, à forte personnalité.

« L’arbitre ne peut qu’éviter l’hallali », écrit l’auteur. Cela n’aura pas été son cas, lui qui aura connu une ultime mortification dans les manœuvres de la DTA et de la Fédération pour lui refuser le titre de meilleur arbitre de la saison, décerné par le suffrage de ses pairs aux
trophées de l’UNFP, en signe de solidarité.

Le propos n’échappe pas aux travers de l’exercice, entre tendance à l’autojustification et désir de revanche. Mais Tony Chapron a le mérite de nourrir sur l’arbitrage un débat dont la pauvreté est d’ordinaire consternante.

Désormais consultant pour Canal+, il est exposé – comme d’autres avant lui – au piège de la critique systématique de ses anciens collègues. Lui qui cite Sur la télévision de Pierre Bourdieu ne peut ignorer que telle est la demande de ce média.