LES CHOIX DE LA MATINALE

Le cinéma offre cette semaine plusieurs remèdes pour tenir la froidure en respect : la drôlerie irrésistible d’un film qui a conquis Cannes, l’entrain des danseurs d’un documentaire qui brûle le plancher, le rock pompier de Queen, la douce nostalgie des années 1970 ou l’énergie des comédies musicales qui s’exposent.

« En liberté ! » : un quatuor amoureux et burlesque

EN LIBERTÉ! de Pierre Salvadori : BANDE-ANNONCE OFFICIELLE / TRAILER
Durée : 02:09

Finalement, la critique la plus difficile à écrire est celle d’une comédie vraiment drôle. Rien de plus ennuyeux que les gags décrits par le menu. Rien de plus ardu que d’expliquer pourquoi des acteurs qui d’habitude vous font un tout autre effet suscitent des éclats de rire dès qu’ils ouvrent la bouche. Il suffit d’affirmer qu’En liberté !, huitième long-métrage de Pierre Salvadori, fait rire, et très fort,

Le cinéaste ne se contente pas de faire rire. Son film burlesque, violent, macabre et doux contient, outre une gamme de gags et de répliques allant du plus raffiné au plus affligeant, des mécanismes auxiliaires qui font tourner, en même temps que la comédie, des trains de pensée complexes circulant sur les voies de traverse entre fiction et réalité, et – comme le titre l’indique – entre liberté et servitude.

Yvonne (Adèle Haenel), policière, veuve tourmentée d’un policier qui s’est révélé corrompu post-mortem, Louis (Damien Bonnard), son collègue et amoureux transi, Antoine (Pio Marmaï) ex-honnête homme injustement envoyé en prison par le défunt, Agnès (Audrey Tautou) son épouse raisonnable et tendre qui l’attend patiemment, forment un rectangle amoureux dont le scénario virtuose parcourt allègrement les côtés et les diagonales.

Pastiche intelligent de film policier, comédie absurde et romantique, En liberté ! laisse entendre le contre-chant des remords, des tristesses, des rancœurs et des frustrations de chaque personnage, qui donne au burlesque une élégance qu’il n’atteint que rarement. Thomas Sotinel

« En liberté ! », film français de Pierre Salvadori. Avec Adèle Haenel, Pio Marmaï, Audrey Tautou (1 h 47).

« Le Grand Bal » : joyeuse épidémie dansante

Le Grand Bal, bande-annonce, sortie le 31-10-2018
Durée : 01:36

Aux XIVe et XVe siècles, des phénomènes de « manie dansante » conduisaient les possédés à la mort, d’épuisement, de crise cardiaque. Cette épidémie, on ne peut qu’y penser devant les beaux danseurs fous du Grand Bal, de Laetitia Carton, bien qu’une issue bien plus heureuse leur soit réservée.

La documentariste pose sa caméra au Grand Bal de l’Europe, festival de danse traditionnelle qui, depuis 1990, a lieu chaque année dans le village de Gennetines, dans l’Allier. Là, pendant deux semaines, les organisateurs installent plusieurs parquets qui accueillent des milliers de danseurs et des centaines de groupes venus de toute l’Europe.

La journée, les festivaliers apprennent des danses traditionnelles aux noms évocateurs : pizzica, bourrée, mazurka, congo des Landes, gavotte de l’Aven. Le soir, réservé à la pratique, les élèves de tous niveaux se retrouvent pour danser toute la nuit. Quant au repos, les plus valeureux grappillent quelques heures de sommeil au petit matin.

Car Le Grand Bal est, d’un même mouvement, affaire de transe et de fatigue, et l’un ne semble pas possible sans l’autre. C’est du moins ce que capte Laetitia Carton, qui filme Le Grand Bal non pas comme une observatrice extérieure, mais comme une cinéaste qui a d’abord été contaminée par la manie dansante, avant de décider d’en faire un documentaire. Le point de vue est moins celui de l’œil que celui d’un corps qui frémit, s’impatiente de rejoindre la piste de danse.

Tout se lit à la surface des corps : l’euphorie, l’épuisement, le désir. Une grande sensualité se dégage d’ailleurs du Grand Bal, si bien que, même s’il n’est jamais évoqué frontalement, il est évident que le désir règne en maître sur le festival. Murielle Joudet

« Le Grand Bal », documentaire français de Laetitia Carton (1 h 29).

« Bohemian Rhapsody » : la légende dorée de Freddie Mercury

Bohemian Rhapsody | Nouvelle Bande-Annonce [Officielle] VOST HD | 2018
Durée : 02:38

Tout dépend de la place que Queen tient dans votre vie. Si, dans votre panthéon, le quatuor emmené par Freddie Mercury n’est qu’une divinité mineure, une bizarrerie dans l’histoire du rock, un groupe glam arrivé trop tard pour faire œuvre de pionnier et devenu une machine à tubes et à remplir les stades, vous prendrez probablement un certain plaisir au spectacle de Bohemian Rhapsody. Ce long film est tour à tour artificieux, pompier, sentimental, séduisant, boursouflé, entraînant. Exactement comme Bohemian Rhapsody, la chanson.

C’est avant tout grâce à Rami Malek que le film entraîne. Avec ses quatre incisives supplémentaires (un trait physiologique par lequel le chanteur expliquait son timbre hors du commun) prothétiques et son maintien d’extraterrestre « queer », l’acteur incarne la rock star du moment où elle renie son ascendance parsie en renonçant à s’appeler Farrokh Bulsara pour devenir Freddie Mercury jusqu’au triomphe du concert Live Aid à Wembley, en 1985.

Mais si Queen compte pour vous, s’il vous importe que Mercury, qui est mort du sida en 1991, n’ait appris sa maladie que des mois après Wembley et non juste avant, que sa manière d’être ouvertement gay sans jamais le dire vous semble digne d’une dramaturgie complexe, alors Bohemian Rhapsody vous paraîtra sans doute insuffisant. T. S.

« Bohemian Rhapsody », film américain et britannique de Bryan Singer (et Dexter Fletcher). Avec Rami Malek, Lucy Boynton, Ben Hardy, Mike Myers, Gwilym Lee (2 h 15).

« Breaking Away » : sortir de l’adolescence à vélo

Breaking Away - Trailer
Durée : 02:53

C’est sous son titre original que ressort, en copie restaurée, le film le plus tendre et attachant de Peter Yates, connu précédemment comme La Bande des quatre (titre de sa première exploitation en France, en janvier 1980).

Réalisateur d’origine britannique aussi modeste qu’efficace, remarqué pour le brio de ses scènes d’action, Yates fit le saut à Hollywood en 1968 sur l’invitation de Steve McQueen, pour tourner avec lui le polar Bullitt, resté célèbre pour ses mémorables poursuites en voiture. Dix ans plus tard, Yates s’engage avec Breaking Away (1979) sur une voie plus personnelle, en produisant et réalisant lui-même un scénario de l’écrivain serbo-américain Steve Tesich, inspiré de sa jeunesse universitaire dans l’Indiana.

A Bloomington, Dave (Dennis Christopher), Mike (Dennis Quaid), Cyril (Daniel Stern) et Moocher (Jackie Earle Haley), quatre jeunes fils d’ouvriers, lambinent entre la fin du lycée et une vie adulte indéfiniment repoussée, qu’il s’agisse de trouver un emploi ou de raccrocher le wagon des études. Dave se passionne pour le cyclisme et s’immerge dans la culture italienne, au grand désespoir de son père (Paul Dooley), ancien cariste reconverti en vendeur de voitures d’occasion. Ses camarades convainquent Dave de courir avec eux la « Little 500 », la traditionnelle course de relais à vélo, afin d’affronter les équipes du campus.

Breaking Away se déroule ainsi sur le registre d’une chronique douce-amère, alternant entre moments de pure fantaisie (les nombreuses courses de Dave à vélo sur des airs d’opéra) et portrait mélancolique des outsiders comme de leur adolescence qui ne veut pas mourir. La grande beauté du film est, en effet, de saisir ses jeunes personnages dans un entre-deux de l’existence. Mathieu Macheret

« Breaking Away », film américain de Peter Yates. Avec Dennis Christopher, Dennis Quaid, Daniel Stern, Jackie Earle Haley, Barbara Barrie, Paul Dooley (1 h 41).

Expo comédies musicales à la Philharmonie de Paris

Même si nombre de comédies musicales – de West Side Story à Dancer in the Dark – sont des tragédies, il est à peu près inévitable – à moins de bénéficier d’une santé morale hors du commun – de sortir de l’exposition « Comédies musicales, la joie de vivre du cinéma » (à la Philarmonie de Paris) autrement que d’excellente humeur.

La débauche d’énergie que déploient les artistes à l’écran et les techniciens (le métier d’opérateur ne devait pas être de tout repos sous la direction de Busby Berkeley), le plaisir d’entendre les mélodies de Cole Porter, Leonard Bernstein ou Michel Legrand, de découvrir les dessins des costumes de Cyd Charisse pour Tous en scène (Vincente Minnelli, 1953) sont inévitablement contagieux.

Autour d’un immense écran de vingt-quatre mètres où sont adroitement mêlés des extraits qui se répondent (Mia Farrow assistant à une projection de Top Hat dans La Rose pourpre du Caire, Elvis Presley oscillant du bassin dans Le Rock du bagne aux côtés de son épigone John Travolta dans Grease…), l’exposition se visite un casque sur les oreilles, que l’on branche sous les écrans qui retiennent l’attention.

Celui qui propose de choisir entre les pistes sonores enregistrées par les acteurs et celles où l’on entend ceux qui les ont doublés est passionnant : Delphine Seyrig en fée doit renoncer à faire entendre sa voix grave pour laisser chanter Christiane Legrand (Peau d’âne, Jacques Demy, 1970), et la gouaille d’Audrey Hepburn n’a pas suffi pour que les producteurs et George Cukor abandonnent l’idée de la faire doubler par Marni Nixon dans My Fair Lady (1964). T. S.

« Comédies musicales, la joie de vivre du cinéma », Philharmonie de Paris. Atelier de claquettes les mercredis, samedis et dimanches et pendant les vacances scolaires. Jusqu’au 27 janvier 2019.

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 31 octobre)

  • En liberté !, film français de Pierre Salvadori (à voir)
  • Le Grand Bal, documentaire français de Laetitia Carton (à voir)
  • Les Habilleuses, documentaire français de Jean-Louis Mahé et Gill Sgambato (à voir)
  • Sophia Antipolis, film français de Virgil Vernier (à voir)
  • Ta mort en short(s), six courts-métrages d’animation français (à voir)
  • Bohemian Rhapsody, film américain de Bryan Singer (pourquoi pas)
  • Touch Me Not, film français, allemand, roumain, tchèque et bulgare d’Adina Pintilie (on peut éviter)

A l’affiche également :

  • Chacun pour tous, film français de Vianney Lebasque
  • Lettre à Inger, documentaire français de Maria Lucia Castrillon
  • On l’appelait Roda, documentaire français de Charlotte Silvera
  • Paradise Beach, film français de Xavier Durringer
  • Seule la vie…, film américain de Dan Fogelman
  • Silvio et les autres, film italien de Paolo Sorrentino