Le ministre de l’action publique Gérald Darmanin et le premier ministre Edouard Philippe, lors d’une conférence de presse le 1er février. / JACQUES DEMARTHON / AFP

Editorial du « Monde ». Après un an de réflexions nourries par les engagements de campagne d’Emmanuel Macron, puis les travaux du Comité action publique 2022 et les audits réalisés dans chaque ministère, le premier ministre a présenté, lundi 29 octobre, l’un des grands chantiers du quinquennat : la « transformation de l’action publique », autrement dit la réforme de l’Etat. Edouard Philippe n’a pas hésité à dramatiser l’enjeu : « L’Etat peut s’effondrer, cela est arrivé en 1940 », a-t-il assuré pour mieux justifier l’urgence et l’ampleur des travaux de rénovation annoncés.

L’entreprise est sisyphéenne. Depuis quarante ans, tous les présidents de la République et leurs premiers ministres se sont employés à moderniser l’organisation et l’action des administrations. Récemment, ce fut la révision générale des politiques publiques, conduite par Nicolas Sarkozy en 2007, puis la modernisation de l’action publique, lancée par François Hollande en 2012.

Chacun, à sa manière, s’est engagé à inventer un Etat plus efficace, plus souple, plus économe et plus proche des administrés. Et chacun s’est arrêté à mi-chemin de ses ambitions, freiné par la complexité du chantier, les pesanteurs de la fonction publique et les injonctions contradictoires des Français, aussi prompts à réclamer plus de fonctionnaires dans les écoles, les commissariats de police ou les hôpitaux, qu’à déplorer leur nombre excessif…

« Sans totem ni tabou »

Edouard Philippe remet donc l’ouvrage sur le métier et décrète la mobilisation générale. Comme ses prédécesseurs, il prône davantage de souplesse dans l’organisation des services publics et leur gestion budgétaire, davantage de clarté dans la définition des missions, davantage de responsabilité (et de contrôle de performance) dévolue à chaque ministère, davantage de modernité avec la généralisation annoncée de la numérisation des démarches, davantage d’inventivité dans la gestion du parc immobilier public. Sans oublier l’antienne de l’indispensable débroussaillage du maquis des normes et circulaires.

« Sans totem ni tabou », comme il l’avait déjà annoncé en février, le gouvernement y ajoute une gestion plus « mobile » de la fonction publique elle-même. Sans remettre en cause frontalement le statut des fonctionnaires, il entend accélérer le recours aux contractuels – qui sont déjà près d’un million –, favoriser et accompagner les reconversions, ouvrir et financer des plans de départ volontaire et s’engager sur la voie de l’individualisation des salaires. Au-delà d’une gestion voulue plus dynamique des ressources humaines, l’enjeu est clair : honorer l’engagement du président de réduire de 50 000 le nombre des fonctionnaires de l’Etat (et de 70 000 celui des agents des collectivités locales) et de trois points de produit intérieur brut le poids des dépenses publiques.

La réalisation de ce chantier tentaculaire est suspendue à trois conditions. D’abord une volonté politique à toute épreuve, tant les conservatismes et corporatismes à surmonter sont enracinés. Edouard Philippe y semble résolu. Ensuite, une pédagogie de tous les instants pour convaincre le pays qu’il s’agit bien de faire « mieux d’Etat » et pas seulement « moins d’Etat », d’en améliorer le fonctionnement et pas seulement d’en réduire le coût. Il faudra enfin un sens aigu de la concertation avec les fonctionnaires et leurs syndicats, sans l’assentiment desquels la réforme de l’Etat ne peut avancer, et encore moins réussir.