Robert Mueller à Washington, le 21 juin 2017. / Andrew Harnik / AP

L’affaire oscille entre l’inquiétant et le saugrenu pour basculer franchement dans le ridicule. Une campagne de diffamation visant le procureur spécial Robert Mueller a été déjouée mardi 30 octobre, avant même d’avoir été réellement lancée. Son but aurait été de mêler le nom de M. Mueller à des accusations d’agressions sexuelles dans le but de l’affaiblir dans son travail d’enquête sur les possibles liens entre Moscou et des individus liés à la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016.

Cette entreprise marquée du sceau de l’amateurisme le plus effarant semble avoir été orchestrée par des personnalités douteuses, grenouillant à l’extrême droite des réseaux sociaux et connues pour divers épisodes passés mêlant désinformation, soif de médiatisation, théorie conspirationniste et litiges divers. S’y ajoutent dans ce cas-ci de faux comptes LinkedIn de professionnels du renseignement – l’un d’entre eux illustré par un portrait de l’acteur allemand Christopher Waltz –, une officine d’intelligence économique qui s’avérera parfaitement imaginaire et surtout de grosses sommes d’argent proposées à d’anciennes collaboratrices supposées de M. Mueller contre de faux témoignages d’agressions sexuelles le concernant.

Le faux témoignage de « Lorraine Parsons »

Tout commence pourtant de la manière la plus sérieuse qui soit : une demande formelle d’enquête envoyée mardi par le bureau du procureur spécial Robert Mueller, l’homme que les partisans les plus radicaux de Donald Trump rêvent de voir tomber, à la police fédérale américaine, le FBI. En cause, des allégations dont les équipes de M. Mueller avaient eu connaissance la semaine dernière et selon lesquelles des femmes s’étaient vu proposer de l’argent pour porter des accusations fallacieuses à son encontre.

D’après le New York Times, dès le 17 octobre, une personne se présentant comme Lorraine Parsons a commencé à entrer en contact avec des journalistes afin de leur faire part d’une offre de cette nature dont elle avait été récemment la cible. Elle leur a notamment fait état d’un premier appel émis par un certain Bill Christensen, désireux d’obtenir des informations sur le procureur spécial M. Mueller, avec lequel elle dit avoir travaillé au début des années 1970.

Par la suite, ce M. Christensen lui aurait proposé, toujours selon le New York Times, la somme de 50 000 dollars pour qu’elle porte des accusations de harcèlement sexuel et de harcèlement au travail contre M. Mueller. Le prix de ce mensonge était assorti d’une prime de 10 000 dollars s’il était proféré dans des délais brefs, d’après les déclarations de Lorraine Parsons. Les journalistes contactés ne sont toutefois pas parvenus à obtenir un témoignage verbal de la part de Mme Parsons et ses traces en ligne sont inexistantes, des éléments qui pourraient indiquer que la personne en question a eu recours à un pseudonyme.

Dans ses échanges avec Lorraine Parsons, ce Bill Christensen dit travailler pour l’avocat et lobbyiste conservateur Jack Burkman, un individu qui s’est illustré au cours des dernières années par des théories du complot fantaisistes conçues pour nuire au camp démocrate et aux adversaires de Donald Trump. M. Burkman s’est notamment fait connaître par son adhésion à une thèse conspirationniste imputant la mort de Seth Rich, un jeune employé du parti démocrate tué selon la police lors d’un vol à main armée qui a mal tourné, à une machination de membres de « l’Etat profond » (« deep State »). Selon ce discours, qui a rencontré un certain écho, ses tueurs, à la solde des ennemis de Donald Trump, auraient été chargés de punir un mauvais élément susceptible de trahir son parti en révélant des informations sensibles.

Contacté par le site d’information américain The Daily Beast, M. Burkman a un positionnement des plus contradictoires. Tout en niant son implication dans cette affaire d’achat de faux témoignage contre le procureur spécial Robert Mueller, il prétend disposer d’un témoin en mesure d’établir des faits de harcèlement sexuel le concernant et qu’il entend le présenter lors d’une conférence de presse prévue jeudi. Par le passé, M. Burkman s’est déjà couvert de ridicule en organisant de tels événements censés présenter des témoins mystérieux porteurs de scandales mais qui ont systématiquement fait flop.

Deuxième tentative : le faux cabinet de Jacob Wohl

Une autre tentative d’achat de faux témoignage a été révélée. Elle concerne cette fois une professeure de la faculté de droit du Vermont, Jennifer Taub. Mme Taub a en effet affirmé au site d’information du mensuel The Atlantic avoir reçu le 22 octobre un courrier électronique lui demandant contre des sommes d’argent restant à négocier des informations compromettantes au sujet du passé du procureur spécial Mueller. Or Mme Taub ne l’a jamais rencontré, détail que semblait ignorer l’expéditeur. Ce dernier se présente sous le nom de Simon Frick et se dit employé d’une officine de renseignement privée baptisée Surefire Intelligence.

Photographies d’illustration représentant des poignées de mains costumées, des gratte-ciel et des silhouettes de businessmen à contre-jour devant des baies vitrées aux stores baissés, slogans ciselés, le site Internet de cette firme a toutes les apparences de l’authenticité. Pourtant, l’entreprise Surefire Intelligence qui est entrée en relation avec Mme Taub n’existe pas. Sur le réseau social professionnel Linkedin, le Simon Frick ayant contacté Mme Taub a pour photographie de profil un portrait de l’acteur austro-allemand Christopher Waltz, pourtant connu aux Etats-Unis pour son rôle dans Django Unchained, le film de Quentin Tarantino.

Source : Bellingcat

Le caractère grossier de ce faux prend toute sa saveur à mesure que l’on découvre les autres profils LinkedIn liés au cabinet Surefire, aujourd’hui désactivés, mais que les journalistes du site d’investigation Bellingcat ont pu consulter. La chef de bureau de l’officine à Tel Aviv, Talia Yaniv, a le visage de la mannequin israélienne Bar Rafaeli. Son chef de bureau à Washington a les traits de Jim Simpson, l’époux de l’actrice américaine Sigourney Weaver, et le portrait attribué à son chef adjoint des opérations est en fait une photographie d’un pasteur établi dans le Michigan. Surefire est donc une coquille vide, maladroitement maquillée, et que les enquêteurs de Bellingcat n’ont eu aucun mal à rattacher à un agitateur d’extrême droite très actif sur Twitter, où il se présente comme « financier et commentateur politique âgé de vingt ans » : Jacob Wohl. La photographie de profil d’un certain Matthew Cohen, le chef supposé de Surefire, n’est d’ailleurs qu’une version assombrie d’un portrait de Jacob Wohl.

M. Wohl, figure connue des communautés en ligne de l’extrême droite américaine, qui doit une partie de sa notoriété à des retweets de Donald Trump, est aussi connu pour avoir lancé à la fin de son adolescence un hedge found aux activités litigieuses. Il se trouve par ailleurs être, selon Daily Beast, un ami de Jack Burkman, le lobbyiste conspirationniste pour le compte duquel la première proposition d’achat de faux témoignage contre le procureur spécial Robert Mueller a été formulée à la personne qui s’est présentée aux médias américains comme Lorraine Parsons.

Avant que l’affaire ne s’effondre et ne révèle toute son ineptie, Jacob Wohl avait tenté de mettre ceux qui le suivent sur Twitter en appétit en annonçant mardi un scandale à venir concernant le procureur spécial Robert Mueller.

Le même jour, après la demande d’enquête du FBI, la publication conservatrice The Gateway Pundit – dont M. Wohl est un collaborateur –, qui devait publier des documents censés accabler Robert Mueller, s’est finalement rétractée, affirmant examiner encore les pièces à conviction vraisemblablement fallacieuses d’un scandale mort-né.