Marche contre les violences liées au genre en Afrique du Sud, le 1er août 2018 à Pretoria. / WIKUS DE WET / AFP

Le 1er août, elles avaient fait le piquet jusqu’au bout, résistant aux tentatives parfois brutales de la police pour les déloger. Manifestant devant le siège du gouvernement contre les violences faites aux femmes en Afrique du Sud, les militantes avaient exigé que le président en personne vienne écouter leurs revendications. A la nuit tombée, Cyril Ramaphosa avait fini par obtempérer. Et avec l’ouverture à Pretoria, jeudi 1er novembre, d’un premier sommet national consacré aux violences sexistes et aux féminicides, le chef de l’Etat a même tenu parole. Sur deux jours, cette grande réunion entre gouvernement et associations a pour but de trouver des réponses concrètes à un fléau qui ravage la société sud-africaine.

Les violences basées sur le genre virent à la crise humanitaire dans le pays de Nelson Mandela. D’après les statistiques dévoilées en septembre, près de 3 000 femmes et enfants ont été tuées entre avril 2017 et avril 2018. C’est cinq fois plus que la moyenne mondiale. Sur la même période, 40 035 viols ont été rapportés à la police, soit 110 par jour. Un chiffre qui, d’après les associations, serait loin de tenir compte de toutes les agressions de ce type commises dans le pays.

Pour mettre des visages sur les statistiques, le sommet s’est ouvert sur des témoignages de victimes de violences qui, en plus de raconter leurs épouvantables expériences, ont tenu à inventorier concrètement ce qu’il fallait changer.

« Tuée une seconde fois »

La première à s’exprimer, Avela, avait 14 ans lorsque sa mère a été sauvagement tuée par son frère adoptif et des amis à lui. Une nuit, alors que tout le monde dormait, ils sont entrés pour lui extorquer de l’argent. Elle était enceinte de sept mois. « Ils l’ont éventrée alors qu’elle était toujours vivante, et ils ont retiré le bébé. Ensuite, ils l’ont violée à plusieurs, puis l’ont mutilée jusqu’à ce qu’elle n’ait plus aucun membre », a relaté la jeune femme aux centaines de personnes de l’assistance.

Avela a 25 ans aujourd’hui, et il lui arrive toujours de croiser les meurtriers de sa mère dans son quartier. Elle demande tout simplement l’application de la loi. « Les assassins n’ont pas peur de la justice, ils sont en liberté », a t-elle souligné.

Très souvent, les auteurs de violences sont issus de l’entourage même de la victime. C’est le cas pour Sarah, qui, entièrement paralysée, se déplace désormais en fauteuil roulant. « En 2011, j’ai été poignardée par mon copain pendant que je dormais. Lorsque j’ai commencé à appeler à l’aide, il a frappé mon enfant de quatorze coups de couteau avant de nous laisser pour morts », a t-elle raconté. « Je suis là, alors que je ne peux même plus bouger. Et lui, il va être mis en liberté conditionnelle le 10 janvier. »

Toutes ces survivantes ont en commun de mettre en lumière la faillite du système judiciaire. Bien que l’Afrique du Sud ait introduit des lois progressistes contre la violence domestique, le manque d’effectifs de la police et l’absence de formation font que les auteurs de violences restent majoritairement impunis et que les victimes, lorsqu’elles décident de se faire connaître, sont souvent malmenées.

Une militante transgenre, Siya, en a fait les frais. Rejetée par sa famille, elle a vécu quatre ans dans la rue, où elle a été violée. « Lorsque je suis allée déposer plainte, la police ne m’a pas prise au sérieux car ils ne pouvaient pas comprendre qu’un homme puisse être violé », explique t-elle. Phindile, elle, a porté plainte après son viol par huit jeunes dans un township près de Johannesburg. Mais le jour du procès, les avocats l’ont cuisinée pendant des heures, mettant en doute ses accusations. « On est tuée une seconde fois au tribunal, où l’on est censée être protégée », a t-elle lancé.

Inefficace contre les auteurs de violence, la justice sait aussi se montrer intraitable. Le témoignage de Martha a ainsi révolté la salle. « Je suis incarcérée car j’ai décidé de faire justice moi-même et de tuer mon mari », a expliqué cette femme qui a subi les abus sexuels de son conjoint durant des années, même pendant sa grossesse. Avant de passer à l’acte, elle a tenté en vain d’alerter les autorités. En 2003, elle a été condamnée à perpétuité. « Libérez-la, libérez la mère ! », a scandé l’assistance, au moment où des policiers sont venus la chercher pour la ramener en prison.

« Scène de crime »

A l’issue de ces témoignages, le président Cyril Ramaphosa a admis « avoir honte » et reconnu que l’Afrique du Sud « avait laissé tomber les femmes ». Avant d’appeler à un changement culturel radical : « Nous devons mettre fin au patriarcat. C’est le patriarcat qui permet aux hommes et aux garçons de traiter les femmes comme leur propriété », a t-il déclaré. Au pouvoir depuis février, il se montre bien plus sensible à la question que son prédécesseur, Jacob Zuma, qui avait été poursuivi puis relaxé pour des accusations de viol.

Le chef de l’Etat a promis budgets et plans d’action afin « d’éradiquer totalement les violences et les meurtres ». Car les solutions existent : former policiers, magistrats et personnel de santé à la prise en charge des victimes ; multiplier les refuges ; sensibiliser dans les écoles dès le plus jeune âge à l’égalité fille-garçon…

Si les participantes au sommet ont applaudi les promesses du président sud-africain, elles attendent désormais des résultats tangibles. Pour le lui rappeler, tout au long de son discours, plusieurs d’entre elles ont brandi des culottes tachées de rouge, portant pour certaines l’inscription : « Mon vagin n’est pas une scène de crime. »