Une enseigne de Lehman Brothers, mis en faillite le 15 septembre 2008, lors de la vente aux enchères des biens de l’entreprise le 24 septembre 2010 à Londres. / BEN STANSALL / AFP

Dix ans après la chute de Lehman Brothers et le krach de 2007-2008, les écoles de commerce ont-elles changé ? Ont-elles repensé leurs programmes ? Bref, ont-elles tiré les leçons de la crise ? Ces questions se posent, à un moment où les tensions s’accumulent sur les marchés financiers, certains redoutant même un nouveau séisme. Certes, nombre de « business schools » se sont interrogées à l’époque.

Outre-Atlantique, sous la pression de l’opinion publique, Harvard, Yale, Wharton ou Chicago Booth ont procédé à une sérieuse ­remise en cause de leur enseignement, notamment en finance. En France aussi, les débats ont été animés à HEC, à l’Essec ou à l’Edhec. Pour autant, avec le recul, les écoles françaises et européennes ne se sentent pas vraiment coupables. « Après tout, la crise est d’abord partie des Etats-Unis, avec l’affaire des subprimes, avant de se propager au reste de la planète », rappelle François Bonvalet, directeur général de Toulouse Business School.

Serious game

Faut-il en déduire que rien n’a changé ? Loin de là. Un peu partout, les écoles ont fait ­évoluer leur cursus – le plus souvent par ­petites touches. « Au total, 60 % de notre ­enseignement a été modifié, assure Patrice Houdayer, directeur des programmes, de l’international et de la vie étudiante à Skema. C’est une onde de choc qui s’est propagée ­depuis 2008, et qui dure encore. »

Premier changement : l’accent a été mis sur l’éthique des affaires et sur la responsabilité des manageurs. « Ces questions occupent ­désormais une place centrale, indique Frank Bournois, directeur général d’ESCP Europe. Nous incitons nos élèves à mieux prendre en compte la notion de bien commun, et à se ­placer dans une optique de long terme. » A l’Inseec, les élèves utilisent un « jeu sérieux » (serious game), ou planchent sur des études de cas portant sur des scandales récents comme le Mediator ou l’affaire Volkswagen.

Vœu pieu

Ici ou là, conférences, interventions de dirigeants, discussions en classe figurent également au menu. A l’Ieseg, « nous avons commencé par quelques cours obligatoires sur l’éthique et la RSE [responsabilité sociétale de l’entreprise], précise Jean-Philippe Ammeux, le directeur général. Aujourd’hui, ces thématiques irriguent tous nos programmes. C’est sans doute moins visible, mais plus efficace. » L’école dispose même d’une structure, Icor (Ieseg ­Center for Organizational Responsability), forte d’une vingtaine d’enseignants de toutes disciplines qui planchent sur ces sujets et publient dans des revues académiques. « Nous voulons former des citoyens du monde, responsables et entreprenants », résume pour sa part Damien Richard, professeur à l’lnseec.

« Bien sûr, nous enseignons toujours l’économie de marché. Mais nous en montrons aussi les limites et les excès », François Bonvalet, directeur général de Toulouse Business School

Tout cela semble un peu relever du vœu pieu… Mais ces évolutions répondent à l’attente des étudiants eux-mêmes. « L’appât du gain, le culte de la rentabilité à tout prix, la ­spéculation sans complexe ne sont plus dans l’air du temps chez les jeunes générations. Nous devons en tenir compte », observe Isabelle Lacombe, chef du département droit, ­finance, contrôle à l’EM Normandie. Priorité, donc, à la quête de sens, aux pratiques « soutenables » et respectueuses de l’environnement et de la société.

De leur côté, les organismes d’accréditation (EFMD, AACSB) accordent eux aussi une importance accrue aux critères comme la responsabilité et la contribution des écoles à leur environnement. Au contraire, il faut le noter, de certains classements comme ceux du ­Financial Times, qui, ainsi que le remarque ­Patrice Houdayer, « continuent de privilégier le critère de la rémunération et de sa progression pour départager les écoles ». Les mauvaises ­habitudes n’ont pas totalement disparu…

Dans le même temps, les écoles s’attachent à développer l’esprit critique. On trouve ainsi des cours d’histoire économique à l’Ieseg, de philosophie et géopolitique à Skema… Un peu partout, la culture générale et les « humanités » sont de retour. « Bien sûr, nous enseignons toujours l’économie de marché. Mais nous en montrons aussi les limites et les excès, assure François Bonvalet. Nous insistons sur les conséquences des décisions prises. » Toulouse BS dispose en outre d’un « comité RSE », qui supervise l’ensemble des activités de l’école – du contenu des cours aux questions d’éthique et de développement durable.

Davantage de régulation

L’ouverture internationale contribue aussi à la « responsabilisation » des élèves. « Quand ils passent un an dans nos campus du Brésil ou de Chine, ils voient le monde autrement, ils ­deviennent plus conscients des difficultés que connaissent leurs contemporains », souligne Patrice Houdayer à Skema. Tout est fait pour qu’ils ne vivent pas dans une bulle, mais en contact avec « la vie réelle ». Pour autant, la ­finance, souvent au banc des accusés, reste une discipline très prisée. « Encore faut-il distinguer les activités de marché, qui ne concernent chez nous que quelques dizaines d’élèves, et la finance d’entreprise, qui en attire beaucoup plus », nuance Frank Bournois. L’étoile des golden boys a pâli.

Reste que la discipline a beaucoup changé. De nouveaux cours ont fait leur apparition – sur la blockchain, les cryptomonnaies, les fintech, les fonds responsables… A Nancy, l’ICN a mis en place un cours sur les financements structurés et les risques associés, et un autre sur la finance comportementale et l’architecture du secteur financier. « Surtout, nous insistons beaucoup sur le contrôle des activités de marché, l’analyse de risque et la conformité aux règles », indique de son côté Isabelle Lacombe à l’EM Normandie, qui transpose ainsi toutes les réglementations récentes (Bâle III, Solvabilité II…) dans ses enseignements. Moins de techniques complexes et d’outils mathématiques sophistiqués, davantage de régulation, de compréhension du système et de prévention des risques : tel est le nouveau paradigme.

« Le Monde » organise son Salon des grandes écoles les 10 et 11 novembre

La 13e édition du Salon des grandes écoles (SaGE) aura lieu samedi 10 et dimanche 11 novembre à Paris, aux Docks, Cité de la mode et du design (13e arrondissement), de 10 heures à 18 heures.

Plus de cent cinquante écoles de commerce, d’ingénieurs, IAE, IEP, écoles spécialisées et prépas y seront représentées, permettant d’échanger sur les différents programmes et leur accessibilité (post-bac, post-prépa ou après un bac + 2, + 3 ou + 4). Lycéens, étudiants et parents pourront également assister à des conférences thématiques animées par des journalistes du Monde Campus. Une équipe de vingt « coachs » pourra également conseiller lycéens, étudiants et parents pour définir leur projet d’orientation, préparer les concours ou rédiger leur CV.

L’entrée en sera gratuite, la préinscription en ligne est conseillée pour accéder plus rapidement au Salon. Liste des exposants et informations pratiques sont à retrouver sur le site Internet du SaGE.