Avec le dernier-né de la flotte Imoca, Jérémie Beyou (Charal) n’a jamais affronté le mauvais temps qui déferle sur le golfe de Gascogne. / LOIC VENANCE / AFP

Pars vite et reviens tard. S’ils ne fuient pas la peste, les 123 skippeurs s’étant élancés dimanche 4 novembre dans la onzième édition de la Route du rhum pourraient faire leur l’antienne « cito, longo, tarde », considérée comme le meilleur des conseils au Moyen Age pour échapper à l’épidémie. Car les derniers points météo promettent une entame de transatlantique fort agitée : dans la nuit de lundi 5 à mardi 6 novembre, une dépression balayera l’Atlantique, allant de l’Irlande aux Açores, rendant toute esquive presque impossible aux navigateurs engagés dans la course.

« Pour la journée de mardi, il n’y a pas d’échappatoire, anticipait avant le départ Jérémie Béyou (Charal), dont le flambant neuf Imoca à foils, dernier-né de sa classe, n’a jamais affronté pareil temps. Il faut se préparer à naviguer longtemps dans du vent et de la mer très forts et faire attention au bateau. »

Lui et ses camarades auront à choisir entre Charybde et Sylla. S’ils foncent droit dans la dépression, qui s’étend en arc de cercle depuis la mer d’Irlande jusqu’à l’archipel des Açores, les skippeurs affronteront des vents de sud-ouest de 40 nœuds (75 km/h) avec des rafales dépassant 100 km/h. S’ils tentent de la contourner par l’ouest, ils écoperont des grains dans une houle de huit mètres.

Dans pareilles conditions, pas question pour les Ultimes – ces maxi-trimarans équipés de foils – de prendre leur envol. S’il augmente drastiquement la vitesse, le vol sur ces appendices n’est envisageable pour les skippeurs que si la mer s’y prête. Ce qui est le cas depuis l’entame de la course, et pourrait permettre aux cinq géants des mers d’éviter le gros de la dépression.

Grosse avarie pour Sébastien Josse

Coup dur pour Sébastien Josse. Peu après 5 h 30 lundi 5 novembre, Le skipper a prévenu son team manager d’une avarie majeure à bord du Maxi Edmond de Rothschild. « Il a constaté la perte d’une partie de l’étrave de son flotteur tribord » et, s’il est « pour l’heure difficile de mesurer l’étendue de l’avarie », il « cherche une solution pour rallier au plus vite la terre ferme », a expliqué son équipe.

Avant cet incident, Sébastien Josse était en tête de la Route du Rhum, devançant François Gabart (Macif). A 8 heures, ce dernier a repris les commandes, devant Thomas Coville (Sodebo) et Francis Joyon (Idec Sport)

Le départ de la course a aussi été mouvementé pour Armel Le Cléac’h, qui, après avoir vécu un départ en flèche, a dû détourner sa route vers Roscoff (Finistère) pour « une réparation mineure sur le système d’énergie du bord », selon son équipe. Il avait repris la mer vers 20 heures.

« Faire le dos rond, passer en force ou s’arrêter »

« Ces grands multicoques vont si vite qu’ils se déplacent plus vite que les phénomènes météo », constatait Michel Desjoyeaux avant le départ. Vainqueur de l’édition 2002 – au terme d’une course saccagée par le mauvais temps –, « le Professeur » ne prend pas le départ cette année, mais publie un ouvrage sur 40 ans de Route du rhum (Marabout) et garde un œil attentif sur la course.

« S’ils ont une échappatoire possible, c’est eux qui choisiront s’ils vont ou non dans le mauvais temps, explique-t-il, précisant qu’en principe, ces Ultimes ont été conçus pour naviguer par pareil temps, parce qu’on sait – notamment depuis 2002 – ce que l’on peut affronter en mer. En revanche, s’il n’y a pas d’échappatoire ils seront obligés de subir. Et là, on peut faire le dos rond, passer en force ou s’arrêter. »

La mise à l’abri est une option envisagée par nombre de skippeurs, notamment ceux dont les montures, moins rapides, ne leur permettront pas de traverser le golfe de Gascogne avant la tempête.

Pour faire face aux prévisions météo pas loin d’être alarmistes, le directeur de l’épreuve leur a rappelé, samedi, l’instauration cette année d’une règle autorisant les skippeurs à faire escale sans être pénalisés dans un rayon de 150 milles marines (277 km, soit jusqu’à La Rochelle).

« Ce système peut être activé et en bon marin il ne faudra pas hésiter à s’arrêter ou à s’abriter, a expliqué Jacques Caraës. Pour les bateaux les plus rapides, il y a des échappatoires. Pour les plus lents, c’est plus difficile, parce qu’ils subissent plus, donc on va les aider – avec les différentes capitaineries – à trouver des abris pour les mettre, pendant au moins vingt-quatre heures, en dehors du gros du coup de vent qui arrive sur le golfe de Gascogne. »

Réduire la voilure

Avant même le départ de la course, l’expérimenté Bob Escoffier (69 ans, cinquième course du rhum) annonçait au Parisien avoir choisi d’abriter son antique Kriter V (deuxième de la première Route du rhum, en 1978) dès dimanche soir, à Roscoff.

« Quand on voit le temps qui arrive, ce n’est pas la peine de prendre des risques et de s’engager dans le golfe de Gascogne, où ça n’a pas l’air très beau. On n’a pas envie d’aller casser du matériel dès les deux premiers jours, alors on s’arrête, justifie le skippeur, qui envisage de ne pas pouvoir reprendre la mer avant mercredi. J’ai un grand bateau qui a 40 ans, je n’ai pas envie de le casser. Il faut parfois savoir faire une pause pour durer. »

Lire l’entretien avec le vainqueur de la première édition : Mike Birch

Pour ceux qui affronteront les éléments, il faudra faire le dos rond, et réduire la voilure. « On va sortir les voiles qu’on ne sort jamais », a communiqué, fataliste, Kito de Pavant (Made-in-Midi) samedi. Au lieu des près de trois cents mètres carrés quand il est toutes voiles dehors, son Class 40 ne devrait déployer qu’une trentaine de mètres carrés pour traverser la dépression.

« La difficulté sera de réussir à avancer dans une mer démontée, prolonge Yann Elies (Ucar - Saint-Michel). Il faudra faire attention au bonhomme et à la machine ».

« En même temps, ça reste l’Atlantique nord au mois de novembre. Ce n’est jamais un long fleuve tranquille », philosophe Michel Desjoyeaux, vainqueur d’une édition où seuls trois des dix-huit trimarans Orma (multicoques de 60 pieds) avaient rallié Pointe-à-Pitre.

« Ce coin-là, le golfe de Gascogne, le cap Finisterre, c’est un des endroits les plus pourris de la planète, abonde l’architecte Vincent Lauriot-Prévost, dont le cabinet VPLP a conçu bon nombre de navires de la course. En général on a du vent dans la gueule, des passages de dépressions avec un premier front, puis un deuxième et un troisième, des bascules de vent importants, et une mer amplifiée par les variations de profondeurs. »

En attendant de déguster le rhum guadeloupéen promis aux skippeurs achevant la course, la flotte de la onzième Route du rhum s’apprête à affronter un sacré coup de tabac.