Les patrons des TPE et PME craignent que cette hausse de la taxation du diesel ne leur porte le coup de grâce, dans un contexte de concurrence économique forte où il est difficile de répercuter ces hausses sur leurs prix aux consommateurs. / ERIC GAILLARD / REUTERS

C’est une petite phrase d’Emmanuel Macron qui a du mal à passer dans les départements ruraux. Lundi 5 novembre, dans un entretien donné aux journaux du groupe Ebra, le président de la République a affirmé « assumer » la hausse de la taxation de 6,5 centimes d’euro par litre pour le diesel, votée fin octobre dans le projet de loi de finances 2019, ajoutant :

« Je préfère la taxation du carburant à la taxation du travail. »

Une opposition absurde pour les syndicalistes patronaux, les chefs d’entreprise et les professionnels libéraux de la Creuse interrogés par Le Monde. Dans ce département rural, ils parcourent plusieurs dizaines de kilomètres chaque jour pour satisfaire les commandes de leurs clients. Ils ont déjà été mis en difficulté par la hausse du prix du baril de brent (une sorte de pétrole qui sert de référence au niveau mondial et dont le cours est passé de 65 dollars début janvier à 86 dollars début octobre, avant de refluer autour des 73 dollars actuellement).

Désormais, les patrons des très petites entreprises et des petites et moyennes entreprises (TPE et PME) craignent que cette hausse de la taxation du diesel ne leur porte le coup de grâce, dans un contexte de concurrence économique forte où il est difficile de répercuter ces hausses sur leurs prix aux consommateurs.

Une difficile répercussion des prix

« Il y a bien une loi de 2006 nous autorisant à répercuter les prix du gazole sur le prix de transport que nous facturons, explique François Cenut, délégué régional du Limousin à la Fédération nationale des transports routiers (FNTR). Mais les TPE et les PME ont vraiment du mal à faire appliquer la loi. » En cause : la concurrence d’entreprises étrangères, qui répondent avec des offres « à vil prix » aux bourses de fret, du fait de leur main-d’œuvre moins chère… et de leur facilité à se fournir en gasoil dans des pays frontaliers où il est moins taxé.

Les routiers de la fédération du Limousin, qui effectuent en moyenne 450 kilomètres par jour, devront donc subir cette hausse de taxes, outre la hausse du pétrole, sans pouvoir s’autoriser à la répercuter sur les prix. « On ne demande pas d’aides supplémentaires, précise M. Cenut. On voudrait simplement que la loi s’applique. »

Pour d’autres entreprises, comme les TPE et PME du bâtiment, le rattrapage ne pourra se faire que dans plusieurs mois. « Nous travaillons actuellement sur des chantiers pour lesquels les devis ont été signés, en janvier. Et nous avons déjà signé des devis pour le début d’année prochaine », explique Francis Mathieu, couvreur et président de l’antenne creusoise de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). Impossible donc, pour ce chef d’entreprise, de répercuter avant plusieurs mois la hausse de la taxation du diesel qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2019, alors ses ouvriers parcourent entre soixante et cent cinquante kilomètres par jour pour se rendre sur les chantiers.

Cette taxe risque de ne pas être la seule à gréver ses comptes : à partir de cette même date, les entreprises du secteur industriel et du bâtiment devront également assumer une hausse substantielle du prix du gazole non routier (GNR, utilisé dans les engins de chantier), faisant passer le tarif au litre de 1 euro à 1,50 euro.

Enfin, pour certains professionnels, répercuter sur leurs prix la hausse de la taxe n’est tout simplement pas de leur ressort. « Les tarifs de nos actes et de nos déplacements sont conventionnés, souligne Martine Lombardo, présidente de l’antenne creusoise de la Fédération nationale des infirmiers. Or, ni notre indemnité forfaitaire de déplacement, ni notre indemnité kilométrique n’ont été revalorisées ces dernières années. »

La hausse du diesel, pour cette infirmière qui effectue entre cent cinquante et trois cents kilomètres par tournée journalière, sera donc de sa poche. « Chaque semaine, on a l’impression de vider nos comptes », souffle-t-elle. Même son de cloche du côté d’un des adhérents de la CGPME de la Creuse, spécialiste du remplacement de pare-brise, dont les tarifs sont fixés par les forfaits des assureurs.

Le sentiment d’être piégés

C’est que, dans la Creuse, les alternatives à l’énergie fossile et à la voiture, en particulier, sont rares. Il y a peu de petites lignes de train où pourrait s’acheminer le fret et il faut parcourir de longues distances, sans pouvoir accéder à des équipements spécifiques, pour se ravitailler en gaz ou en électricité. « Les gens sont prisonniers d’un système et on leur demande de payer la note, s’agace François Cenut. Il existe bien des modèles de petits camions électriques ou au gaz, mais cela reste compliqué de les utiliser pour du transport routier. Dans le Limousin, il n’y a qu’une seule station où les camions peuvent faire le plein en gaz. Et pour l’électricité, il faut aller effectuer des recharges en agglomération. »

Tous comprennent la nécessité de la transformation écologique. Mais ils ont le sentiment d’être ceux qui en paient systématiquement le prix le plus fort. Amendes nombreuses après la limitation de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires, hausse des taxes sur le diesel et le GNR, sentiment de gabegie dans la gestion des administrations locales… « on en a ras-le-bol d’être pris pour des pigeons », lâche Philippe Micard, président CGPME de la Creuse.

D’autant que pour certains l’argument de la transition écologique sonne davantage comme un prétexte qu’une réelle prise de conscience pour le gouvernement. « Le gouvernement augmente les taxes sur le gasoil en 2019, mais il a supprimé cette année le crédit d’impôt sur le changement des simples vitrages – des passoires énergétiques – en double vitrage », rappelle M. Mathieu. Le crédit d’impôt concernant la pose de fenêtres, de volets et de portes d’entrée isolants, a en effet été baissé de 30 % à 15 % pour les travaux réalisés entre le 1er janvier et le 30 juin, avant d’être supprimé pour les dépenses engagées à partir de l’été.

Dans les campagnes, une partie des professionnels libéraux et des patrons de TPE et PME se joindront donc tout naturellement aux usagers de véhicules diesel, lors des manifestations et des opérations escargot prévues le 17 novembre. « C’est dommage. Emmanuel Macron avait une plutôt bonne image parmi les chefs d’entreprise lors de son élection, relate le président de la CGPME creusoise Philippe Micard. Mais un an et demi après, le moral n’est plus là. »