Un officier de sécurité devant la grille d’entrée du camp des Loges, stade d’entraînement du Paris-Saint-Germain, en août 2017. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

Chronique. Désolé pour messieurs Terry et Bostock, mais ce John-là est sans doute le plus utile de l’histoire du football. « John », un pseudo, est l’homme qui se cache derrière les « Football Leaks », ces dizaines de millions de documents qui donnent lieu à une série de révélations sur les pratiques du football professionnel depuis trois ans. Hormis le journaliste du Spiegel qui est en contact avec lui, personne ne sait comment John et ses amis ont obtenu ces teraoctets d’e-mails et contrats.

On a bien une idée, et d’autres y ont pensé avant nous pour tenter de discréditer John, dont on sait uniquement qu’il est portugais, polyglotte et vit caché : mais non, assure-t-il, « nous n’avons jamais piraté personne, nous ne sommes pas des hackeurs. Nous avons seulement un bon réseau de sources. » Une explication assez peu crédible compte tenu de la quantité et de la sensibilité des documents publiés, et du fait que l’UEFA et la FIFA se sont plaints récemment d’avoir été la cible de tentatives de piratage informatique.

Mais peu importe, au fond, d’où viennent les fuites, parce qu’elles sont salvatrices. Elles constituent un mince espoir de mettre au pas un système qui opère dans une opacité et une tranquillité absolues, malgré la place considérable qu’il prend dans l’espace public.

« Il est temps, enfin, de nettoyer le football, dit à l’EIC, ici sur Mediapart, celui qui se considère comme un lanceur d’alerte. Les fans doivent comprendre qu’à chaque fois qu’ils achètent un billet, un maillot ou un abonnement à une chaîne de télévision, ils alimentent un système extrêmement corrompu qui n’agit que pour lui-même. »

« TPO » et « AUT »

Sur son petit site personnel, « John » a d’abord publié des contrats de joueurs et accords de transferts, qui révélaient les commissions plantureuses prélevées par des agents et les ravages de la TPO (Third Party Ownership). Puis il a fourni ses données à l’European Investigative Collaborations (EIC), qui en a extrait une série de révélations portant notamment sur la passion des acteurs du football pour les paradis fiscaux.

La dernière vague de révélations, depuis ce week-end et qui va se prolonger tout le mois, met pour l’instant au jour la faiblesse des gouvernants du football et la farce de « l’indépendance » de certaines commissions chargées de le réguler.

En 2016, une série de fuites orchestrée par les Fancy Bears, dont il a été confirmé récemment qu’il s’agissait d’agents du renseignement russe, a concerné notamment les autorisations à usage thérapeutiques (AUT), qui permettent aux sportifs de prendre des produits interdits pour soigner des maladies. Il est apparu que certaines étaient accordées à tort et à travers, sans que l’Agence mondiale antidopage (AMA) n’ait les moyens humains de les vérifier.

Il faut distinguer d’emblée ces deux fuites massives. Les motivations possiblement nobles de l’une, celles incontestablement politiques de l’autre ; leurs modalités – traitement journalistique et contradictoire dans un cas, étalage sans nuance sur la place publique dans l’autre ; et leurs conséquences pour les intéressés, dont sont dévoilés, pour les uns, les entorses à l’éthique et, pour les autres, leurs problèmes médicaux.

Les gouvernements se désintéressent du sport

Ceci étant précisé, ces fuites constituent donc une bonne nouvelle pour les amateurs de sport mais aussi pour les acteurs eux-mêmes. Les adversaires de Bradley Wiggins savent grâce aux Fancy Bears quel stratagème il a probablement utilisé pour maigrir et remporter le Tour de France 2012.

Le responsable du système de la FIFA qui enregistre les transferts a avoué s’informer sur « Football Leaks », tant les clubs lui mentaient sur le montant des indemnités. Les enquêteurs indépendants chargés de faire respecter le fair-play financier ne seront pas malheureux que la planète sache comment ils ont été roulés dans la farine par ceux qui les payent, les dirigeants de l’UEFA.

Ces révélations semblent être l’un des rares moyens d’amener un peu de transparence dans le fonctionnement des institutions sportives, dont la quasi-totalité a installé leur siège dans des pays, Suisse ou Monaco, qui font commerce de leur opacité.

Les lanceurs d’alerte ne sont pas encouragés (à l’exception de l’AMA, qui a pris conscience de leur utilité à la suite du scandale du dopage russe). Les mécanismes de contrôle internes aux fédérations sportives sont rares et, lorsqu’ils existent, peuvent être contournés.

Peu d’industries intéressent à la fois autant le grand public tout en bénéficiant d’une absence totale de supervision. C’est une tâche à laquelle ne souhaitent pas s’atteler les gouvernements, qui doivent estimer avoir suffisamment de problèmes sur les bras pour ne pas, en plus, briser les rêves de leurs électeurs.

Quand elle l’a pu, la justice a montré avec quelle efficacité elle pouvait mettre en pièces les schémas de corruption à l’œuvre dans les institutions sportives, qu’il s’agisse de la justice américaine dans le cas de la FIFA ou française dans celui de la Fédération internationale d’athlétisme ou du CIO. Mais les cas sont rares.

A ce jour, les pirates informatiques semblent les meilleurs alliés de ceux qui croient en un sport géré de manière un tant soit peu éthique – il n’est pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.