L’ancienne présidente du Syndicat de la magistrature, Françoise Martres, le 19 février 2015 à Paris. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Le temps de la justice n’est pas celui de la vie réelle. Le Conseil d’Etat a jugé, dans un arrêt rendu le 25 octobre, que le garde des sceaux était fondé à ne pas avoir retenu pour une promotion qu’elle sollicitait en octobre 2016 et février 2017 Françoise Martres, l’ex-présidente du Syndicat de la magistrature, en raison de son renvoi en correctionnelle pour « injures publiques » dans l’affaire du « mur des cons ». Il se trouve que la magistrate a été promue depuis, en août 2017, première vice-présidente adjointe du tribunal de grande instance de Bordeaux.

En bref, Jean-Jacques Urvoas, ministre de la justice jusqu’en mai 2017, avait le droit de refuser à cette juge sa promotion à un poste « hors hiérarchie » que Nicole Belloubet, l’actuelle ministre de la justice, lui a accordée à peine arrivée place Vendôme. Ce cas illustre d’abord l’étendue du pouvoir des gouvernements sur la carrière des magistrats du siège, ceux qui jugent. Car, rappelons-le, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), institution chargée de veiller à l’indépendance de la justice, ne choisit que 5 % des juges, les plus haut gradés. Pour les autres juges, le CSM donne un avis qui engage le gouvernement sur les noms que lui soumet le garde des sceaux. Quant aux magistrats du parquet, la chancellerie a l’initiative sur 100 % des nominations.

Renvoi en correctionnelle

La décision de la haute juridiction administrative n’a donc pas d’impact sur la carrière de Mme Martres, mais sa motivation est instructive. Concrètement, la conseillère à la cour d’appel d’Agen avait fait acte de candidature à plusieurs postes de présidente de chambre dans les cours d’appel de Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Agen et de première vice-présidente au tribunal de Bordeaux. Mais le garde des sceaux a proposé d’autres noms, qui, après avis favorable du CSM, ont été nommés par décret du président de la République. La magistrate a ainsi attaqué devant le Conseil d’Etat les propositions de nomination du ministre et les décrets de nomination de ses concurrents heureux.

Dans la recherche d’une éventuelle discrimination dont la magistrate aurait été victime, l’arrêt relève que le CSM avait écrit en décembre 2016 au garde des sceaux pour la recommander et expliquer que « le fait d’écarter systématiquement, depuis un an, les candidatures de Mme Martres aux postes hors hiérarchie pour des motifs étrangers à sa qualité professionnelle ou à la gestion des ressources humaines est vécu par l’intéressée comme une gestion discriminatoire de sa carrière liée à sa qualité de responsable syndicale ».

Mais, note le Conseil d’Etat, la chancellerie justifie sa position par le renvoi au tribunal de l’intéressée pour l’affichage dénigrant des personnalités politiques mis en place au siège du Syndicat de la magistrature et par le retentissement public exceptionnel pris par ces faits « qui étaient de nature à jeter publiquement le doute sur son respect des exigences de réserve ». Il n’y avait donc ni discrimination ni sanction déguisée de la part du ministre, conclut l’arrêt. Aucune procédure disciplinaire n’a été engagée contre Mme Martres, mais sa carrière pouvait néanmoins être entravée par le ministre.

Sur le fond, le procès du « mur des cons » s’ouvre à Paris le 4 décembre.