La comédienne Nathalie Baye (à droite) et le lauréat du prix du Quai des Orfevres, Paul Merault, le 6 novembre. / - / AFP

Une fois l’an, la fiction rejoint la réalité entre les murs du « 36 » et les inspecteurs d’encre et de papier croisent le temps d’un cocktail les vrais flics de terrain. Le prix du Quai des orfèvres a été remis mardi 6 novembre à Paul Mérault, auteur du Cercle des impunis (Fayard), au sein du nouveau quartier général de la police judiciaire parisienne, rue du Bastion dans le 17e arrondissement de Paris. L’adresse, mythique, a changé, mais la récompense littéraire, qui distingue chaque année depuis 1946 un polar, a conservé le nom.

Du Quai des orfèvres, il ne reste d’ailleurs plus grand-chose dans le bâtiment ultramoderne de la « PJ ». Sinon une trentaine de toiles, accrochées aux murs du salon de réception. Peintes par Jacques Rohaut, elles rappellent les escaliers magnifiquement délabrés, les bureaux savamment désordonnés et les murs fièrement décatis des anciens locaux. Un décor autrement plus littéraire que celui du nouveau siège, où le charme de la décrépitude a cédé le pas à l’exigence de fonctionnalité.

Distinction à la boutonnière

Point de poésie donc, mais du roman, noir de préférence. Les clichés du genre sont d’ailleurs vite balayés, lors de cette remise de prix. Pas d’ambiance saturée de fumée, ni de suspects qui déambulent menottés ou d’inspecteur en trench-coat défraîchi. Réunie dans la salle Berthillon, du nom du père de l’identification judiciaire, l’élite des « PJistes » est en costard, avec de préférence une distinction à la boutonnière. Le taux de légion d’honneur au mètre carré est digne des meilleures sauteries préfectorales.

En attendant le lauréat, on discute, police un peu, politique beaucoup. Dans un coin de la salle, Frédéric Péchenard, ex-grand patron de la police national et grand ami de Nicolas Sarkozy, raconte à une petite assistance comment il a refusé d’être ministre pour Emmanuel Macron. Pierre Charon, sénateur de Paris et également intime de l’ancien président, ne boude pas son plaisir d’être membre du jury. Nathalie Baye en a été nommée marraine. L’actrice, césarisée pour son interprétation d’une commandante de police dans Le Petit lieutenant, a manifestement une appétence pour les gardiens de la paix. En mars 2018, elle incarnait encore une ex-flic résolument acariâtre, dans la série Nox.

« Homme du sérail »

Sur l’estrade, Christian Sainte, l’actuel directeur régional de la police judiciaire, puis Michel Delpuech, préfet de police de Paris, vantent les mérites du livre sélectionné. Cinq manuscrits avaient été retenus sur 98 présentés. Le jury a tranché entre les ouvrages, anonymisés pour l’occasion. L’heureux gagnant verra son livre publié chez Fayard, partenaire de ce prix un peu spécial qui se distingue par son fonctionnement des 2 400 autres distinctions littéraires décernées en France (chiffre de la préfecture).

Le Cercle des impunis a été choisi notamment pour sa « parfaite connaissance » du fonctionnement de la police judiciaire. Et pour cause, le choix (à l’aveugle) s’est porté cette année sur un « homme du sérail ». Paul Mérault, commandant divisionnaire à Toulouse dans le quartier du Mirail, poursuit des délinquants la journée et écrit des polars la nuit. Ce roman primé est son troisième ouvrage mais le premier qu’il a proposé à la publication. L’intrigue se noue autour de meurtres de policiers, commis entre Londres et Marseille, et creuse un sillon déjà exploité par la série Tunnel, celui de la coopération compliquée entre un enquêteur français et l’une de ses collègues britanniques.

L’auteur, qui a travaillé pendant plus de quinze ans aux renseignements généraux, particulièrement sur les questions de terrorisme islamiste, a choisi de donner une tournure mystique à son livre, qui remonte le fil du temps pour s’intéresser aux persécutions des sectes vaudoises Il y a plus de cinq siècles. Une « parabole des radicalismes » actuels, explique-t-il. Un symbole aussi de l’évolution de ce 36 « Quai des orfèvres » devenu « Bastion », qui consacre désormais une bonne partie de son énergie à traiter des conséquences de l’extrémisme religieux.