Il y a les engagements présidentiels… et l’exécution budgétaire. Au ministère des armées, les temps n’ont pas tant changé que cela sous la présidence d’Emmanuel Macron, en dépit des discours rassurants de l’exécutif sur la sanctuarisation des crédits de la défense nationale. Transmis à l’Assemblée nationale mercredi 7 novembre, le projet de loi de finances rectificative pour 2018, qui doit permettre à l’Etat de boucler son budget général, voit en effet les armées perdre plusieurs centaines de millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale votée par le Parlement.

En cause, le financement des opérations extérieures et intérieures (« Sentinelle »), dont le coût est pour l’heure estimé à 1,37 milliard d’euros pour 2018. Il devra être entièrement couvert par le ministère alors que la solidarité interministérielle devait jouer cette année pour la moitié de cette somme. Il n’avait été budgété initialement que 650 millions, auxquels se sont ajoutés 140 millions de crédits, soit 790 millions au total.

La défense « mobilisera d’autres crédits de la même mission pour financer les opérations extérieures et missions intérieures au-delà des crédits provisionnés dans la loi de finances initiale », indique le document du ministère de l’économie. Aujourd’hui, les services de Florence Parly doivent donc trouver 404 millions d’euros supplémentaires pour boucler leur propre budget.

Des économies à trouver

Le député (Les Républicains) François Cornut-Gentille, rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale, a dénoncé comme « un coup de poignard aux armées » cette décision « en pleine itinérance mémorielle du président » pour le centenaire de la fin de la guerre de 1914-1918. « Non seulement il va manquer 404 millions de crédits annulés, mais les armées sont privées de la solidarité interministérielle, ce qui revient à les ponctionner doublement », indique l’élu.

Comment le ministère va-t-il procéder ? La réserve de précaution, qui devait servir à payer, entre autres, les factures des investissements militaires à hauteur de 319 millions d’euros, va être détournée à cette fin. La direction générale de l’armement devrait donc se trouver dans la situation de reporter sur 2019 de nouvelles charges des programmes d’équipements, une mécanique acrobatique car Bercy impose aux ministères de limiter ces « restes à payer ».

De plus, une économie non prévue réalisée sur la masse salariale, qui aurait pu être utilisée à d’autres dépenses, arrive à pic. Le ministère dispose de 155 millions d’euros en raison de départs plus importants que prévus de sous-officiers qui ont quitté les rangs – ce qui n’est pas une bonne nouvelle en soi compte tenu des difficultés de fidélisation des armées.

Vive tension

D’ultimes négociations avec Bercy devraient permettre de limiter cette charge non prévue d’ici au 31 décembre, assure le cabinet de la ministre. Des crédits devraient être dégelés dans quelques jours à hauteur de 250 millions d’euros, espère-t-on à l’Hôtel de Brienne. Il faudra continuer à se battre, convient l’entourage de Mme Parly.

Justifié par la nécessité d’avoir un budget de la défense plus « sincère » que par le passé, quand celle-ci sous-estimait volontairement sa provision pour les missions extérieures, le plein financement par le ministère des opérations n’était prévu qu’en 2020, dans le cadre de la loi de programmation militaire 2019-2025.

C’est ce sujet des « opex », assorti d’annulations de crédits de dernière minute, qui avait provoqué une vive tension entre les armées et Bercy en juillet 2017, avant d’entraîner la démission du chef d’état-major Pierre de Villiers. Depuis, une nouvelle loi de programmation militaire (LPM) a été votée et prévoit une augmentation des crédits, après deux décennies de baisse.

« J’ai pris des engagements clairs dès la campagne présidentielle sur ce sujet ; c’est pourquoi ces engagements seront tenus, déclarait Emmanuel Macron pour ses premiers vœux aux armées en janvier 2018. J’ai décidé d’arrêter cette lente érosion de nos capacités militaires et de prendre un engagement fort. »

Le budget 2018 est le dernier avant le démarrage de la LPM, et ses fragilités ne viennent pas rassurer des militaires et des parlementaires familiers des batailles budgétaires. « La LPM est une loi d’intention. Tout sera dans l’exécution », avait prévenu, lors de l’examen du texte en juin, Christian Cambon, le président (LR) de la commission de la défense et des forces armées du Sénat, en lançant à la ministre : « Nous sommes là pour vous aider. »