Michel Journiac,  Enlèvement, 1974 24 heures de la vie d'une femme ordinaire / Phantasmes Tirage argentique sur papier Galerie Christophe Gaillard, Paris / GALERIE CHRISTOPHE GAILLARD, PARIS

Selon la base de données Artprice, la France ne détient que 12,5 % de part dans le marché mondial de la photo. Pourtant c’est à Paris que se trouve la plus importante foire dédiée à ce médium, Paris Photo, qui ouvre ses portes le 8 novembre au Grand Palais. Avec un parterre de 199 exposants, ce salon offre un bon panorama des tendances d’un marché à géométries variables.

La photo moderne et contemporaine se taille la part du lion. En revanche, la place de la photo du XIXe siècle – à peine 15 % du salon – se réduit comme une peau de chagrin. On constate une segmentation similaire aux enchères. D’après Artprice, la photo ancienne ne représente que 9 % de ce marché, contre 25 % pour la photo moderne et 66 % pour l’après-guerre et le contemporain.

« La photo ancienne exige une connaissance spécifique et donc du temps pour apprendre et comprendre, remarque Elodie Morel, spécialiste chez Christie’s. Aujourd’hui nous sommes dans l’immédiateté, la demande doit être satisfaite rapidement. »

Il n’en fut pas toujours ainsi. Voilà encore vingt ans, les ventes de photo étaient principalement composées de photos dites primitives. Sotheby’s avait ainsi fait sensation en 1999 en adjugeant pour 460 000 livres sterling la Grande Vague de Gustave Le Gray au Sheikh Saoud Al Thani du Qatar. A regarder les courbes d’Artprice, ce segment du marché est toutefois particulièrement instable. En novembre 2017, trois tirages de Le Gray se sont vendus chez Sotheby’s entre 40 000 et 100 000 euros, loin des pics de 1999.

« Le public peine à se renouveler », admet Jonas Tebib, spécialiste chez Sotheby’s, qui disperse le 9 novembre un ensemble de daguerréotypes de Girault de Prangey, estimés entre 3 000 et 10 000 euros. Sur ce créneau, encore plus que sur d’autres, le mot d’ordre est à la sélectivité. Les œuvres vraiment importantes n’apparaissent que par éclipse et que les taux d’invendus se révèlent importants, de l’ordre de 53 % en France ces cinq dernières années.

Quelques grands collectionneurs

Même si, en théorie, il serait intéressant d’accrocher un Seascape de l’artiste japonais actuel Hiroshi Sugimoto aux côtés d’une marine de Gustave le Gray (1820-1884), les différents segments de la photo n’attirent pas les mêmes acheteurs. Sauf dans le cas des chefs-d’œuvre qui, selon Elodie Morel, « restent l’apanage de quelques grands collectionneurs qui ne sont pas limités par une période précise ». La célèbre photo Noire et Blanche de Man Ray, datée de 1926, a attiré des enchérisseurs qui n’étaient pas versés dans la photographie. Et, résultat des courses, ce tirage s’est vendu au prix record de 2,6 millions d’euros chez Christie’s en 2017.

« Il s’agit d’un trophée, d’une icône. Ce n’est pas tant Man Ray qui s’est bien vendu que cette image-là », observe David Fleiss, codirecteur de la Galerie 1900-2000, spécialisée dans le surréalisme. Et de préciser : « Le marché de certaines photos de Man Ray est à rapprocher de celui de l’art contemporain ». Les poids lourds de l’art actuel l’ont d’ailleurs bien compris. La galerie Gagosian présente désormais Richard Avedon, Hauser & Wirth montre Diane Arbus et Thaddaeus Ropac compte Irving Penn dans sa liste.

Poignée de noms

Le boom de la photo contemporaine est lui indissociable de celui de l’art contemporain. « Le marché tend vers l’art contemporain car l’offre y est plus importante », remarque Jonas Tebib. L’emballement se cristallise actuellement autour d’une poignée de noms comme Wolfgang Tillmans, Cindy Sherman, Marina Abramovic et Hiroshi Sugimoto. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Christie’s a choisi d’organiser le 8 novembre une vente spécifique autour de cet artiste nippon, exposé en parallèle au Château de Versailles.

Paris Photo permet heureusement de sortir des sentiers battus

Christophe Gaillard propose ainsi un solo show de Michel Journiac, un artiste français adepte de la performance, décédé en 1995. Voilà encore deux ans, la galerie peinait à céder ses œuvres : trop sulfureuses, ironiques, politiques, trop érotiques et « queer » aussi. « Le regard a beaucoup changé en deux ans, constate Christophe Gaillard. Journiac est en résonance parfaite avec les problématiques du monde actuel, le questionnement sur l’identité jusqu’à son travail sur le sang et le Sida. Il aura fallu vingt ans pour qu’il soit considéré à sa juste mesure. »

Lors du solo show de l’artiste à la FIAC en octobre dernier, la galerie a fait un carton dès le vernissage du salon. L’IVAM, musée d’art moderne de Valence (Espagne), s’est ainsi porté acquéreur d’un ensemble de photos. Pierre Molinier, un autre artiste sulfureux et transformiste, connaît une même ascension posthume, avec une progression de ses prix de l’ordre de 30 à 40 % en dix ans. Sur la foire Frieze Masters (à Londres) en octobre, Christophe Gaillard et la Galerie 1900-2000 ont fait sensation avec les photos aussi ambiguës que fétichistes.

Nouvelles niches

Aujourd’hui, le spectre des possibilités dans la photo contemporaine tend à s’élargir. La photo désormais déborde du cadre, sort de ses gongs, devient même parfois sculpture. Les jeunes artistes, à l’instar du Marocain Mustapha Azeroual, renouent avec les techniques anciennes comme le cyanotype ou le daguerréotype.

De nouvelles niches sont aussi apparues, comme les tirages documentant les performances et happenings, mais aussi la photo vernaculaire. La valeur des photos anonymes, qu’on peut trouver à partir de 1 000 euros à la galerie Lumière des roses, tient à leur caractère unique. « Même si le champ d’exploration est immense, ces images sont rares et très difficiles à trouver », souligne Philippe Jacquier, directeur de la galerie. Et d’ajouter : « Ce qui fait à mes yeux le prix d’une photo anonyme, c’est son pouvoir de suggestion, le mystère qu’elle dégage. » Sans repères aussi bien de noms que de prix, le collectionneur ne peut se fier qu’à son propre jugement, choisir avec ses yeux et non ses oreilles. Exercice difficile. Mais ô combien gratifiant.

Paris Photo, du 8 au 11 novembre, au Grand Palais, à Paris, www.parisphoto.com