Alors qu’il figurait sur les deux premières listes des ouvrages en lice pour le Renaudot, mais pas sur la dernière, Le Sillon, de Valérie Manteau (Le Tripode) a reçu la distinction, annoncée mercredi 7 novembre, en même temps que le Goncourt, depuis le restaurant Drouant.

Ont également été distingués par les jurés : Avec toutes mes sympathies, d’Olivia de Lamberterie (Stock) pour le Renaudot essai, et Dieu, Allah, moi et les autres, de Salim Bachi (Folio) pour le Renaudot poche. Un prix spécial a été attribué au Lambeau de Philippe Lançon, récipiendaire, lundi 5 novembre, du Femina.

Si le choix du Renaudot est surprenant, il faut dire que Valérie Manteau est une écrivaine qui a le don d’avancer masquée. Après avoir, par pudeur, fait en sorte de ne pas présenter Calme et Tranquille, son premier livre, comme un texte sur ou autour de Charlie Hebdo (journal pour lequel elle avait été chroniqueuse entre 2008 et 2013) la quatrième de couverture dit simplement qu’il décrit « l’irruption brutale de la violence dans la vie d’une jeune femme » –, elle offre avec Le Sillon un roman lui aussi légèrement déguisé.

Les déambulations de la narratrice à Istanbul

Il commence comme le récit d’une liaison vacillante avec un Turc pour se transformer en précis de décomposition d’un pays. Sans jamais cesser de s’afficher comme la description des déambulations de la narratrice à travers Istanbul, sur les traces du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink, assassiné en 2007.

Installée sur la rive asiatique de la ville, où bouillonne une société civile attachée aux droits des minorités, elle marche, s’assoit pour fumer une cigarette, discute, s’implique dans la vie de la cité, militant en faveur des journalistes et écrivains poursuivis après la tentative de coup d’Etat de juillet 2016…

L’écriture de Valérie Manteau possède une grâce et une légèreté qui lui permettent d’entremêler l’évocation de ce qui se passe dans la tête de la jeune Française avec la description de ce qui advient dans les rues et dans le pays, tout en retraçant l’histoire de Hrant Dink. Elle se tisse dans les scènes vues autant que dans les textes qu’elle lit, qu’ils soient de Dink, de la romancière Asli Erdogan ou de la dramaturge britannique Sarah Kane (1971-1999, déjà très présente dans Calme et Tranquille). Et elle n’a pas à rougir à leurs côtés.