Les ministres de l’économie italien, Giovanni Tria, et français, Bruno Le Maire, à Bruxelles, le 5 novembre. / EMMANUEL DUNAND / AFP

Ces chiffres risquent d’aggraver l’épreuve de force entre la Commission européenne et le gouvernement populiste italien. En tout cas, de doter l’institution bruxelloise d’arguments supplémentaires, alors qu’elle a rejeté, fin octobre, le budget prévisionnel de Rome pour 2019 et réclame une nouvelle copie pour le 13 novembre.

A en croire les « prévisions économiques d’automne » de Bruxelles, publiées jeudi 8 novembre, la croissance italienne pour 2019 devrait s’établir à seulement 1,2 % du produit intérieur brut (PIB), alors que le gouvernement de Giuseppe Conte table sur une croissance de 1,5 %. A politique inchangée, elle atteindrait 1,3 % du PIB en 2020. Autrement dit, la Commission estime que les mesures de relance sociales (revenu universel, avancée de l’âge des départs à la retraite) et fiscales n’auront pas l’incidence attendue sur le dynamisme économique transalpin.

Mais au regard des chiffres bruxellois, Rome, qui, pour l’instant, refuse de changer une ligne à son budget, pourrait aussi arguer qu’en l’absence de toute relance budgétaire, sa croissance serait encore plus poussive.

La deuxième dette publique la plus élevée de la zone euro

Toujours selon les estimations de l’institution, qui s’appuie sur les dernières données disponibles de l’institut Eurostat tout en intégrant les nouvelles politiques budgétaires décidées à Rome cet automne, le déficit public du pays pointerait à 2,9 % du PIB en 2019. La dérive des comptes publics serait encore plus importante que celle assumée par Rome pour 2019 (2,4 %), un chiffre qui fait pourtant déjà bondir Bruxelles, car, à ce niveau, le déficit est trois fois supérieur aux engagements pris par le gouvernement Conte en juillet.

En 2020, si l’Italie maintient sa politique d’expansion, son déficit public franchirait le plafond des 3 % autorisé par le pacte de stabilité et de croissance, à 3,1 %. Le ministre des finances, Giovanni Tria, avait pourtant dit que l’Italie s’engagerait à réduire de nouveau son déficit à partir de 2020. A politique inchangée, ce ne sera donc pas le cas, estime la Commission.

Quant à la dette publique italienne, elle devrait rester la deuxième plus élevée de la zone euro (après la grecque), à environ 131 % du PIB, n’entamant pas de décrue, contrairement à ce qu’espérait encore la Commission, mi-2018.

Des prévisions positives pour les dix-huit autres Etats membres

C’est le 21 novembre que l’institution bruxelloise devrait tirer des conclusions de ces chiffres, surtout si, dans l’intervalle, Rome n’a pas modifié son budget prévisionnel 2019. La Commission pourrait alors décider de rendre publique son analyse de la soutenabilité de la dette transalpine, prélude à une « recommandation » d’ouverture d’une procédure « pour dette excessive » à l’égard du pays.

Cette recommandation, si elle se concrétise, devra être validée au Conseil par les Etats membres. Elle serait inédite et risque d’accentuer les tensions avec le gouvernement de coalition Mouvement 5 étoiles-Ligue. La Commission a déjà ouvert de nombreuses procédures pour déficit excessif (à l’encontre de la France, notablement, qui n’en est sortie officiellement qu’au début de cette année), mais encore jamais pour dette excessive. Si elle est menée à son terme, cette procédure peut conduire à des sanctions financières.

L’Italie fait figure d’exception dans la zone euro : jeudi, l’institution est restée plutôt positive au sujet des dix-huit autres Etats membres, malgré les risques que font toujours peser la politique commerciale du président américain, Donald Trump, le resserrement monétaire aux Etats-Unis ou le Brexit.

Optimisme modéré pour la France

La zone euro en est à sa sixième année de croissance d’affilée, et « la tendance devrait se poursuivre [en 2019 et en 2020], avec des taux de chômage revenant à ceux observés avant la crise financière », selon Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques. Le PIB de la zone euro devrait encore croître de 1,9 % en 2019, puis de 1,7 % en 2020, avec un chômage à 7,9 % de la population active en 2019 et à 7,5 % en 2020.

Même optimisme modéré pour la France : les chiffres de la Commission correspondent grosso modo aux hypothèses retenues par le gouvernement d’Edouard Philippe pour le projet de loi de finances. La croissance du PIB hexagonal devrait être de 1,6 % en 2019, contre 1,7 % estimé par Paris. La dette publique devrait décroître très légèrement, après un pic à 98,7 % du PIB en 2017, à 98,5 % en 2019 et à 97,2 % en 2020.

Quant au déficit public français, il devrait bien être de 2,8 % du PIB en 2019, et encore de 1,7 % en 2020 (alors que Paris prévoit une réduction plus massive, à 1,4 %). Enfin, l’institution estime que la France ne produira pas l’« effort structurel » requis (réductions budgétaires liées à des réformes) de 0,6 % du PIB en 2019, sans pour autant s’en formaliser.

La Commission relativise, considérant que l’Hexagone n’est pas le seul pays dans ce cas : le Portugal, l’Espagne ou la Belgique n’affichent pas non plus les réductions budgétaires « structurelles » requises. Surtout, ces Etats membres font quand même des efforts de discipline budgétaire, contrairement à l’Italie. Pas question donc d’agiter le risque de sanctions dans leur cas.