Le procureur spécial Robert Mueller, en juin 2017 à Washington. / Joshua Roberts / REUTERS

Depuis deux mois, le procureur spécial Robert Mueller et ses équipes s’étaient montrés encore plus discrets que d’habitude. La coutume établie par le ministère de la justice, imposant aux magistrats de se garder de toute inculpation à caractère politique dans les soixante jours précédant un scrutin, a semble-t-il fait son effet. La fin de la trêve électorale sifflée brutalement par Donald Trump au lendemain des « midterms », mercredi 7 novembre, en remplaçant le ministre de la justice, Jeff Sessions, par son chef de cabinet, Matthew Whitaker, a remis la délicate enquête russe sur le devant de la scène.

Nommé il y a un an et demi au poste de procureur spécial chargé de l’enquête sur l’ingérence de Moscou dans la campagne présidentielle américaine de 2016 et la possible collusion avec les équipes du candidat Trump, Robert Mueller va devoir désormais faire face à un ministre de tutelle ouvertement hostile aux investigations en cours. Ancien procureur et homme d’affaires, Matthew Whitaker est connu pour avoir développé des relations étroites avec la Maison Blanche, où il était considéré comme un allié politique fiable.

En juillet 2017, peu avant d’entrer dans le cabinet de Jeff Sessions, Matthew Whitaker avait émis sur CNN l’idée de couper les fonds fédéraux aux équipes du procureur spécial. « Une baisse drastique signifierait l’arrêt de l’enquête », avait-il alors lancé devant les caméras.

Un mois plus tard, il reprit sur son compte Twitter le titre d’un article du site Philly.com, « Un conseil à l’avocat de Trump : ne coopérez pas avec le gang de lyncheurs de Mueller ». Dans son Tweet, il précisait que l’article « valait la peine d’être lu ». L’annonce de sa nomination n’a toutefois pas permis de déterminer si le nouveau ministre par intérim allait prendre directement en charge la supervision de cette tentaculaire enquête, qui n’a eu de cesse d’empoisonner la présidence de Trump.

Dépositions discrètes

Au cours de ces dix-huit mois, Robert Mueller est parvenu à inculper 32 personnes, dont 26 ressortissants russes. Sur le versant américain, quatre membres de l’équipe de campagne du président ont été mis en examen par ses soins : Michael Flynn, l’ex-conseiller à la sécurité nationale de Trump, George Papadopoulos, l’éphémère conseiller diplomatique, Paul Manafort, le directeur de campagne de mai à août 2016, ainsi que son ancien associé Rick Gates, l’autre cheville ouvrière de la campagne. Tous les quatre – accusés à des degrés divers de parjure, de conspiration contre les Etats-Unis, de blanchiment d’argent et d’évasion fiscale – ont décidé de plaider coupable, à l’instar de Michael Cohen, l’avocat personnel de Trump. Cerné par plusieurs affaires, l’ancien fidèle parmi les fidèles du milliardaire new-yorkais a choisi de coopérer avec la justice dans un dossier à part.

Ces dernières semaines, l’équipe d’enquêteurs de Robert Mueller a poursuivi ses investigations et interrogé plusieurs témoins. Des dépositions ont eu lieu, en toute discrétion, devant un grand jury d’une cour fédérale à Washington. D’après certains médias, le procureur spécial s’intéresse désormais tout particulièrement à Roger Stone, mentor politique et conseiller de campagne de longue date de Donald Trump.

L’ami du président, qui avait joué un rôle minime mais notable dans le scandale du Watergate, est dans le collimateur de Robert Mueller en raison des propos qu’il avait tenus lors de la campagne de 2016. Il s’était vanté avoir été en contact avec WikiLeaks. Au cours des derniers mois de la course à la Maison Blanche, le site cofondé par Julian Assange avait publié des courriels de membres du Parti démocrate qui auraient été piratés par des militaires russes. A plusieurs reprises au cours de l’enquête, Roger Stone a au contraire affirmé qu’il n’a pas été en contact avec WikiLeaks et qu’il n’avait pas connaissance de ses projets.

Andrew Miller, un assistant de longue date de Stone, a, lui, refusé de se plier à une citation à comparaître devant le grand jury, arguant que l’enquête du procureur spécial était anticonstitutionnelle. Un juge l’a déclaré coupable d’outrage au tribunal. Une audience devait avoir lieu jeudi.

Réponses écrites

L’autre front ouvert par Robert Mueller concerne directement Donald Trump, soupçonné d’avoir tenté d’entraver l’enquête en limogeant en mai 2017 le chef du FBI, James Comey. Au printemps 2017, le procureur spécial a envoyé une quarantaine de questions écrites aux avocats de Trump. Plusieurs sources indiquaient, avant la démission forcée de Jeff Sessions, que l’équipe juridique du président avait prévu de répondre à la mi-novembre à une douzaine d’entre elles. En septembre, après d’âpres négociations, les deux parties avaient convenu que Mueller acceptait, en guise de première étape, les réponses écrites à un sous-ensemble de questions.

En revanche, les avocats du président ont résisté, à plusieurs reprises, à la demande d’entretien avec Donald Trump formulé par le procureur spécial. L’ancien maire de New York et avocat du président, Rudy Giuliani, en a clairement refusé l’idée, craignant que Robert Mueller accuse M. Trump de parjure.

Mercredi soir, devant la presse conviée à la Maison Blanche, le président a martelé à plusieurs reprises qu’il laisserait l’enquête aller « jusqu’au bout ». « Je ne suis inquiet de rien, parce que cette enquête russe est un canular », a-t-il assuré, répétant une énième fois qu’il n’y avait pas eu de collusion entre son équipe et le Kremlin.