Depuis les années 1990 et la multiplication des grands scandales de pédophilie un peu partout dans le monde, les Eglises des pays concernés ont réagi en ordre dispersé, et presque systématiquement sous la contrainte. Les révélations sur les abus sexuels commis par des prêtres et la façon dont leur hiérarchie a détourné les yeux ont été faites, pour l’essentiel, à l’initiative des victimes ou de la presse. C’est le plus souvent à la demande et sous le contrôle des gouvernements que des commissions d’enquête ont été mises en place.

Les initiatives les plus anciennes reviennent à l’Irlande. En 2009, le rapport Murphy, commandé par le gouvernement irlandais, dépeignait trente ans d’exactions et d’omerta dans le diocèse de Dublin, où les plaintes des familles n’ont pas été prises au sérieux par les évêques successifs, alors même qu’au moins 46 prêtres avaient abusé plus de 400 enfants. La même année, le rapport du juge Ryan, fruit de neuf années d’enquêtes, concluait que, sur 35 000 enfants placés des institutions dépendant de l’Eglise, plus de 2 000 avaient subi des abus physiques ou sexuels, notamment de la part de prêtres.

En 2017, en Australie, une commission d’enquête créée quatre ans plus tôt à l’initiative du gouvernement a répertorié 4 444 cas d’abus entre 1980 et 2015 et identifié 1 900 religieux incriminés. Aux Etats-Unis, c’est la justice qui a conduit l’essentiel des recherches, à commencer par l’enquête menée après les révélations du Boston Globe au début des années 2000. Le 14 août 2018, le procureur de Pennsylvanie détaillait les violences commises sur plus de 1 000 enfants et adolescents par au moins 300 prêtres dans six des huit diocèses de cet Etat pendant cinq ou six décennies.

Aux Pays-Bas, c’est l’Eglise elle-même qui a pris les devants. En 2010, à la suite de plusieurs révélations dans la presse de cas d’abus sexuels, la Conférence épiscopale néerlandaise et la Conférence des instituts religieux néerlandais avaient annoncé vouloir une enquête « exhaustive, externe et indépendante ». Dans son rapport final, dévoilé dix-huit mois plus tard, elle estimait que « plusieurs dizaines de milliers de mineurs » avaient été abusés sexuellement au sein de l’Eglise catholique néerlandaise depuis 1945.

« Tournant » en Allemagne

Le cas allemand semble être celui qui se rapproche le plus de l’initiative annoncée mercredi par les évêques français – la création prochaine d’une « commission indépendante ». Le 25 septembre, l’Eglise catholique allemande a rendu public un rapport de 350 pages portant sur la période 1946-2014. Pilotée par une équipe d’universitaires, elle avait été commandée en 2013 après une série de révélations sur d’anciennes affaires de pédophilie dans plusieurs établissements catholiques de renom.

Elle avait démontré que, sur cette période, 1 670 membres de l’Eglise catholique avaient agressé sexuellement 3 677 mineurs, en majorité des garçons de moins de 13 ans, ce qui signifie qu’au moins 4,4 % de l’ensemble des religieux ont abusé d’enfants. Une évaluation plancher, reconnaissent les auteurs. Une victime sur six aurait été violée. L’étude met également en évidence l’impunité dont ont bénéficié les agresseurs. Sur les 1 670 religieux mis en cause, seulement 566, soit un tiers environ, ont été poursuivis canoniquement. Parmi eux, à peine une quarantaine ont été exclus de l’Eglise. La justice pénale, elle, n’a été saisie que dans une centaine de cas.

Après la publication de l’étude, l’Eglise a évoqué un « tournant » et fait part de sa « honte ». Plusieurs plaintes ont été déposées auprès des différents procureurs généraux du pays afin que la justice déclenche des enquêtes dans chacun des vingt-sept diocèses allemands. Selon le Spiegel, cinq diocèses étaient visés, fin octobre, par des enquêtes judiciaires.

L’enquête allemande n’a toutefois pas échappé aux critiques des associations de victimes : selon elles, ses auteurs n’ont pas eu accès aux archives, mais seulement aux informations fournies par les diocèses ; l’étude n’entre dans « aucun détail concernant la situation de tel ou tel diocèse ou le rôle de tel ou tel prélat » ; enfin, elle ne concerne « que l’Eglise stricto sensu », laissant donc de côté les institutions éducatives qui lui sont liées. Les mêmes questions se poseront en France quant au périmètre d’action et aux moyens dévolus à la future commission d’enquête.

En Belgique, les conclusions d’une commission d’enquête instaurée par l’Eglise pour entendre les victimes sont attendues en 2019. Ses travaux, débutés en 2009, furent très encadrés, voire entravés, y compris par le ministre de la justice de l’époque, ce qui entraîna la démission de sa présidente, une magistrate. Son successeur, le pédopsychiatre Peter Adriaenssens, a vu sa tâche facilitée par des révélations sur l’un des prélats les plus en vue du pays, Roger Vangheluwe, l’évêque de Bruges. En septembre 2010, M. Adriaenssens avait fait publier l’intégralité des témoignages recueillis.