Le président Trump n’avait jamais pardonné à Jeff Sessions de s’être récusé dans l’enquête sur les interférences russes pendant la présidentielle. / Joshua Roberts / REUTERS

La lettre de démission de Jeff Sessions, « à la demande » du président des Etats-Unis, n’est pas datée, suggérant qu’elle était prête depuis un moment. Les relations entre Donald Trump et son ministre de la justice, qui a annoncé son départ mercredi 7 novembre au lendemain des élections de mi-mandat, se sont détériorées ces derniers mois.

Plus précisément depuis que l’intéressé s’est récusé, en mars 2017, dans l’enquête menée par le procureur spécial Robert Mueller sur les ingérences russes dans la campagne présidentielle de 2016 et sur une possible collusion entre Moscou et l’équipe du candidat Trump. Depuis, le locataire de la Maison Blanche dénonçait un ministre « très faible » incapable de le protéger d’une « injuste chasse aux sorcières ».

L’ancien sénateur de l’Alabama avait pourtant été un soutien de la première heure pour le milliardaire. En mars, le magazine Time lui avait dédié sa « une », insistant sur sa loyauté à l’égard du locataire de la Maison Blanche. Et son bilan balaye les décisions les plus trumpistes en matière d’immigration, avec, notamment, la séparation des familles à la frontière mexicaine.

« Sur ces questions tout comme sur le travail de la police ou les droits civiques, le président ne pouvait guère trouver meilleur défenseur de sa politique », explique aujourd’hui le Washington Post. De même, M. Sessions s’est attelé à défaire les réformes en matière de justice mises en place par son prédécesseur démocrate : « Il restera dans les mémoires comme celui étant resté loyal à un président qui s’en est violemment pris à lui, alors même qu’il mettait en œuvre les politiques controversées [de Trump] de manière plus agressive qu’aucun autre membre du cabinet. »

« Confrontation à enjeux élevés »

Se séparer de Jeff Sessions est une manière pour Donald Trump de « montrer qu’il garde le contrôle à Washington », fait valoir The Hill. Ce remaniement de cabinet est attendu depuis longtemps se traduit par une décision « qui a immédiatement mis en place une confrontation à enjeux élevés avec les démocrates du Congrès sur l’enquête russe ». D’ailleurs, rappelle le journal, quand Bill Clinton a subi un revers électoral lors des scrutins de mi-mandats en 1994, il « a dû convaincre la classe politique qu’il restait pertinent dans l’ère Newt Gingrich [qui fut présenté alors comme l’un des stratèges de la révolution républicaine] ».

« L’éviction brutale de M. Sessions ressemble à certains égards à la décision prise par le président George W. Bush d’évincer le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld en 2006, au lendemain d’une défaite similaire aux élections de mi-mandat. Dans ce cas, M. Bush essayait de calmer ses détracteurs. La décision de M. Trump de renvoyer M. Sessions semblait susceptible d’enflammer ses adversaires sur le Capitole », abonde The New York Times.

« Aboutissement d’une relation toxique »

Bien que le milliardaire ait déclaré pendant des mois qu’il souhaitait remplacer son ministre de la justice, les législateurs et les responsables de l’administration estimaient que son limogeage avant les scrutins de mardi aurait eu des conséquences négatives pour les républicains. L’annonce de son départ au lendemain du vote n’est donc « pas une surprise », explique le quotidien new-yorkais, d’autant que l’ancien sénateur de l’Alabama aurait essayé au moins deux fois de quitter le département de la justice. « L’aboutissement d’une relation toxique » amorcée depuis que M. Sessions s’était récusé, résume Time.

Satisfait d’avoir renforcé sa majorité au Sénat en dépit de la perte du contrôle de la Chambre des représentants, Donald Trump s’est contenté de deux tweets lapidaires pour annoncer le départ de Jeff Sessions et son remplacement, temporaire, par son propre directeur de cabinet, Matthew Whitaker.

Or, ce dernier, un ancien procureur fédéral engagé dans les rangs républicains dans l’Iowa, va reprendre le contrôle de l’enquête russe, qui était supervisée par le numéro deux du ministère de la justice, Rod Rosenstein, depuis la récusation de Jeff Sessions. Or, rappelle le New York Times, ce « loyaliste s’est fait l’écho des plaintes du président sur l’enquête du procureur spécial ». M. Whitaker a déjà par le passé mis en cause « le périmètre » de ces investigations. Dans une tribune pour CNN en 2017, il avait estimé que M. Mueller irait trop loin s’il examinait les finances de la famille Trump. « Cela soulèverait de sérieuses inquiétudes sur le fait que l’enquête du procureur spécial est une simple chasse aux sorcières », écrivait-il alors.