Angela Merkel à la synagogue de Rykestrasse (Berlin), pour les commémorations de la Nuit de cristal. / TOBIAS SCHWARZ / AFP

L’Allemagne commémore vendredi 9 novembre, quatre-vingts ans après, la Nuit de cristal, ces pogroms et meurtres annonciateurs de l’extermination des Juifs, dans un climat de regain d’antisémitisme et d’émergence d’un « nouveau nationalisme ».

De nombreuses manifestations sont organisées dans le pays à cette occasion, que commémore Angela Merkel par un discours dans une synagogue de Berlin, en présence du Conseil central des juifs d’Allemagne.

Planifiée par l’Etat nazi

« Nous sentons dans notre société (…) que les fossés se creusent », a mis en garde devant la chambre des députés le président de la République allemande, Frank-Walter Steinmeier. Car cent ans jour pour jour, vendredi, après la proclamation de la première république allemande, à deux jours de l’armistice de la Grande Guerre, le chef de l’Etat a relevé l’émergence en Europe d’un « nouveau nationalisme » nostalgique, selon lui, d’« un vieux monde parfait qui n’a en réalité jamais existé ». Le chef de l’Etat a fustigé devant les députés, dont ceux du parti d’extrême droite AfD, le « langage de la haine » qui cherche des « boucs émissaires » parmi les migrants, accueillis en nombre en Allemagne depuis 2015, et les musulmans.

Des mots lourds de sens quatre-vingts ans après, là aussi jour pour jour, les saccages par les nazis de milliers de synagogues et commerces tenus par des Juifs en Allemagne et en Autriche. Pour les historiens, la nuit du 9 au 10 novembre 1938 marque le passage de la discrimination des Juifs à leur persécution, puis leur extermination.

« Je tenais la main de mon père. J’ai vu la synagogue en feu et j’ai demandé “Pourquoi les pompiers ne viennent pas ?”. Je n’ai pas eu de réponse », a témoigné de cette nuit Charlotte Knobloch, ancienne présidente du Conseil central des juifs d’Allemagne, à l’antenne de la télévision allemande ZDF. La propagande affirme alors qu’il s’agit d’une éruption de violence spontanée après le meurtre d’un diplomate à Paris. Mais elle a en réalité été planifiée par l’Etat nazi.

Nouvelle montée de l’extrême droite

Cette commémoration, qui se télescope donc avec le centenaire de l’armistice de 1918 et de la fin de l’Empire allemand, survient dans un contexte trouble en Allemagne. Il y a tout juste un an entrait au Bundestag l’AfD, un parti d’extrême droite dont de nombreux cadres ont tenus des propos polémiques sur la Shoah et le devoir de mémoire en Allemagne. Des manifestations xénophobes en août ont aussi choqué le pays. « Nous voyons à nouveau la violence dans les rues », s’alarme auprès de l’Agence France-Presse Felix Klein, commissaire du gouvernement contre l’antisémitisme.

Le président français, Emmanuel Macron, s’est, lui, dit « frappé » le 31 octobre par la ressemblance entre la situation actuelle en Europe, « divisée par les peurs, le repli nationaliste », et celle des années 1930. La France est elle-même confrontée à une forte augmentation en 2018 des actes antisémites, a révélé le gouvernement vendredi matin. « En novembre 2018, nous ne sommes pas au bord du précipice d’une autre Nuit de cristal, mais il est de notre devoir d’empêcher que de telles atrocités ne se reproduisent », relève dans ce contexte le Congrès juif mondial.

De nombreux Allemands commémorent cette nuit en polissant ou en déposant des fleurs sur les Stolpersteine, des milliers de petites pavés de laiton incrustés dans la chaussée pour identifier les victimes et leur adresse.

1 400 actes antisémites chaque année

En 2017, des plaques avaient été volées, alimentant la crainte d’une résurgence de l’antisémitisme, une réalité infamante pour un pays dont l’identité s’est bâtie sur la repentance pour la Shoah. Une forme nouvelle d’antisémitisme pour l’Allemagne fait aussi régulièrement les gros titres, celui prêté aux migrants arabo-musulmans qui ont afflué depuis 2015.

Mais l’essor de l’extrême droite allemande a aussi remis au premier plan un antisémitisme national. L’AfD a multiplié les polémiques liées au nazisme. Et des militants d’extrême droite manifesteront vendredi soir à Berlin.

L’inquiétude ne cesse donc de grandir au sein de la communauté juive allemande, forte d’environ 200 000 personnes. Le nombre de crimes et délits à caractère antisémite est resté néanmoins stable dans les statistiques de police, avec environ 1 400 cas recensés chaque année depuis 2015. Plus de 90 % des affaires sont attribuées à l’extrême droite.

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