Dans « 11-11 Memories Retold », le joueur incarne tour à tour le Canadien Harry et l’Allemand Kurt. / Bandai Namco

Peut-on jouer avec la guerre ? Surtout avec la première guerre mondiale, si peu réductible à des enjeux simples ? Depuis Montpellier, le créateur de jeux vidéo Yoan Fanise avait tranché dès 2014 avec Soldats inconnus : mémoires de la Grande Guerre, jeu d’aventure sans combat, sans violence, mais avec une vraie portée éducative.

Sa deuxième œuvre consacrée au sujet, 11-11 : Memories Retold, est disponible depuis vendredi 9 novembre sur PC, PlayStation 4 et Xbox One.

Changement de programme : moins scolaire, le nouveau jeu de Yoan Fanise et de son studio Digixart (en partenariat avec le studio d’animation britannique Aardman, connu notamment pour les films Wallace & Gromit) s’intéresse cette fois au terrain de l’émotion. Quitte pour cela à abandonner en cours de route celui du réalisme pour mieux naviguer ouvertement vers la fable.

11-11, c’est surtout l’histoire de l’Allemand Kurt, un ingénieur qui s’engage en 1916 pour retrouver la trace de son fils disparu au front. C’est aussi celle, un peu en retrait, du Canadien Harry. Gamin un brin naïf mais photographe talentueux, il part pour l’Europe dans l’espoir d’impressionner une fille.

Deux destins qui vont se croiser, s’éloigner, se retrouver, donnant l’occasion au joueur de découvrir alternativement les trajectoires de deux hommes qui partagent plus qu’ils ne le pensent.

11-11: Memories Retold - Launch Trailer
Durée : 01:35

Intense dans l’inaction

11-11 enchaîne ainsi les saynètes, parfois très courtes, nous mettant dans la peau des deux hommes, chacun leur tour, parfois les deux en même temps. Ils découvrent le quotidien des soldats, la camaraderie, l’attente, l’ennui, la peur qui monte et puis, par deux fois, la mort, qu’ils côtoient de près sur le champ de bataille.

Pas question de prendre les armes : Kurt a pour lui son astuce et sa mission, Harry son appareil photo, mais aucun n’a d’arme. Ils sont spectateurs de l’horreur plus qu’acteurs. Ils n’ont d’ailleurs pas toujours grand-chose à faire, remplissant des objectifs simples (prendre une photo, discuter, trouver une pièce manquante pour une machine) qui ne demandent de la part du joueur que de savoir répondre aux ordres et appuyer sur un bouton.

C’est d’ailleurs dans ses phases d’inaction que 11-11 est le plus intéressant. Quand Kurt prend le temps d’écrire une lettre à sa petite fille, pour lui expliquer, à travers les mots choisis par le joueur, pourquoi il est parti. Quand Harry soigne le cadre d’une photo qui fera la « une », quelques jours plus tard, au Canada.

A l’inverse, les phases plus « jeu vidéo », où il faut résoudre une énigme basique, ou se promener dans la peau du pigeon ou du chat qui suivent nos amis partout, paraissent assez faibles, superflues.

Au départ surprenant

Parfois, tentation heureusement vite écartée, 11-11 fait donc mine d’être un jeu vidéo « normal ». En revanche, sa direction artistique, elle, ne laisse jamais place au doute. Est-ce parce que la taille de l’équipe de Digixart (quinze personnes) ne lui aurait de toute façon pas permis de développer un jeu photoréaliste ? Est-ce pour édulcorer une réalité insoutenable ? Ou pour mieux souligner que l’important ici n’est pas l’horreur du monde, mais la détresse intérieure ?

En tout cas, en travaillant avec Aardman, Digixart livre une direction artistique unique, radicale, et même un peu déconcertante. Tout le jeu a en effet l’allure d’un tableau impressionniste, façon Van Gogh (sa célèbre Chambre à coucher est d’ailleurs très littéralement citée). C’est au départ surprenant. Dans les tableaux les plus sages, on a tôt fait de trouver le résultat un peu baveux, moyennement convaincant. On frôle même, à deux ou trois reprises, la bouillie de pixels.

Et puis le jeu monte en intensité, tandis qu’il délaisse la reproduction pour loucher vers le fantastique. La scène du cimetière, celle de la maison de Kurt, les champs de bataille ou encore la très belle séquence finale où se croisent une ultime fois nos deux héros… Toutes ces scènes ne sont pas seulement réussies : elles sont sublimées par cette approche qui délaisse ouvertement le réalisme graphique pour tâcher de toucher autrement.

« Plus qu’un jeu sur la guerre, c’est un jeu sur la paix », répétait en promotion Olivier Deriviere, qui a composé pour orchestre et chœurs un thème obsédant, capable de se faire tour à tour guerrier ou bouleversant. Derrière ses atours assez radicaux, 11-11 est en fait un jeu assez simple, presque simpliste, qui nous parle surtout d’émotions à hauteur d’homme.

En bref

On a aimé :

  • L’histoire, simple et touchante
  • La très belle bande-son
  • La direction artistique, souvent

On n’a pas aimé :

  • La direction artistique, parfois
  • Les moments où 11-11 essaye de se faire passer pour un jeu vidéo classique

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous aimez le jeu vidéo qui raconte plutôt qu’il ne se joue
  • Vous aimez les expériences radicales
  • Vous voulez être plongé dans le quotidien de la première guerre, au-delà des exploits militaires

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous vous attendez à une approche scolaire et historique
  • Vous vous attendez à tirer sur des méchants
  • Van Gogh vous touche peu

La note de Pixels

14/18