Des manifestants nationalistes défilent à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de la Pologne, à Varsovie, le 11 novembre 2015. / KACPER PEMPEL / REUTERS

Le 11 novembre 1918, la Pologne retrouvait son indépendance après cent vingt-trois ans de partages entre les empires russe, allemand et austro-hongrois. Les Polonais devaient fêter ce centenaire, dimanche 11 novembre, dans une ambiance qui reflète à bien des égards celle qui règne à travers le pays depuis trois ans : dans le chaos et une complète division.

La « révolution conservatrice » lancée par le parti ultraconservateur Droit et justice (PiS) depuis son arrivée au pouvoir, ses atteintes aux principes de l’Etat de droit ont considérablement polarisé et radicalisé la société polonaise. Ce sont donc deux Polognes, l’une représentant un large spectre modéré et démocrate, l’autre, la droite ultraconservatrice et nationaliste, qui s’apprêtent à célébrer séparément cet anniversaire.

L’organisation des festivités a pris dès le début des formes ubuesques : depuis plusieurs mois, tout laissait à penser que la principale manifestation dans les rues de Varsovie serait la grande Marche de l’indépendance, organisée chaque année le 11 novembre par les milieux nationalistes. Le président Andrzej Duda (PiS) a d’ailleurs invité les leaders de l’opposition, ainsi que les anciens présidents Lech Walesa, Aleksander Kwasniewski et Bronislaw Komorowski, à y participer. Ces derniers ont fermement décliné et le président Duda a fini lui-même par se rétracter.

Le prix de la complaisance

Une série de rebondissements a par la suite ajouté incertitudes et tensions autour de l’organisation de cette journée. Mercredi 7 novembre, la maire centriste sortante de Varsovie, Hanna Gronkiewicz-Waltz, a décidé d’interdire la manifestation nationaliste pour des raisons de sécurité. Trois heures à peine après cette annonce, le président Duda a indiqué vouloir organiser sa propre marche aux « couleurs nationales », « ouverte à tous », sur le même tracé que la marche des nationalistes.

Vingt-quatre heures plus tard, le tribunal régional de Varsovie a annulé la décision de la maire, expliquant que le droit de manifester ne pouvait être restreint par des « présomptions ». Les représentants de la majorité ont alors entamé d’intenses négociations avec les organisateurs de la Marche de l’indépendance, afin de les convaincre de défiler ensemble uniquement sous les couleurs nationales, sans bannière ou signe d’organisations extrémistes. Ces propositions se sont heurtées à une série de refus des nationalistes, avant qu’un accord de dernière minute ne soit trouvé : la marche présidentielle et celle des milieux nationalistes seront donc fusionnées.

Mais de nombreuses incertitudes subsistent, car des organisations fascisantes venues de Hongrie, de Slovaquie, d’Italie, de Suède et du Royaume-Uni ont de longue date été invitées par les organisateurs. Ces derniers attendaient jusqu’à 200 000 personnes, ce qui ferait de la marche de Varsovie une des plus grandes manifestations d’extrême droite au monde. Les ambassades américaines et canadiennes avaient auparavant émis des communiqués signalant la dangerosité potentielle de la manifestation, qui avait à de nombreuses reprises dégénéré dans le passé. Comble de l’ineptie : la marche présidentielle devra être encadrée par l’armée, car 40 000 policiers, soit 40 % des effectifs de l’Etat, se sont mis en congé maladie dans le cadre d’une grève à l’issue incertaine.

Le premier ministre, Mateusz Morawiecki, a assuré qu’« aucun comportement ou signe extrémiste » ne sera toléré par les forces de l’ordre. « Il y a pour nous une ligne rouge très claire entre un comportement patriotique et des attitudes nationalistes ou chauvinistes », a-t-il souligné.

Mais, de l’avis de l’opposition, la majorité paie le prix de sa complaisance avec les milieux nationalistes depuis son arrivée au pouvoir. Les années précédentes, la Marche de l’indépendance avait été qualifiée de « grand rassemblement patriotique » par les médias publics, étroitement contrôlés par le pouvoir. Le parquet, contrôlé par le ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, s’est quant à lui montré particulièrement indulgent vis-à-vis de certains excès de groupes d’extrême droite.

« Culte de la personnalité »

Les célébrations sont par ailleurs entachées par un autre événement polémique : samedi 10 novembre devait être inaugurée, à proximité de la tombe du Soldat inconnu, en plein cœur de Varsovie, une statue de l’ancien président et frère jumeau de l’actuel chef de la majorité, Lech Kaczynski, mort en 2010. La statue, située sur la place du général Jozef Pilsudski, le père de l’indépendance polonaise, s’avère plus imposante et plus haute que la statue de ce dernier. L’opposition dénonce un « culte de la personnalité ».

Déplorant cette ambiance délétère, l’ancien président et leader charismatique du syndicat Solidarnosc, Lech Walesa, a signé une tribune dans plusieurs journaux européens, dont Le Monde. Il écrit : « Nous avons saisi la chance historique de faire entrer la Pologne dans l’OTAN et dans l’Union européenne (…), une fois pour toutes ancrer la Pologne dans la civilisation occidentale. Nous n’imaginions pas alors avec quelle force destructrice (…) un pouvoir démocratiquement élu pourrait, au nom de ses objectifs à courte vue, œuvrer à l’isolement, à l’affaiblissement et au désarmement de la Pologne. » Cette sentence amère sonne comme un avertissement.