Theresa May et Donald Tusk, le président du Conseil européen, à Bruxelles, le 19 octobre. / Francisco Seco / AP

Nouvelle semaine décisive pour le Brexit : Européens et Britanniques vont-ils enfin parvenir à un accord sur leur divorce, à désormais quatre mois et demi de la date fatidique ? Les négociateurs ont travaillé d’arrache-pied ces derniers jours pour sortir d’une impasse de près de six mois sur la question irlandaise.

Theresa May, la première ministre britannique, sera-t-elle capable d’imposer cette nouvelle solution bruxelloise lors de la prochaine réunion de son cabinet, mardi 13 novembre ? Si ce dernier rejette l’offre, les chances d’un accord en novembre s’éloigneront. Et les craintes d’un « no deal », déjà élevées, monteront en flèche. « Nous approchons, à pas de sénateur et sur la pointe des pieds, d’un accord définitif », a déclaré, très prudemment optimiste, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sur France 24 dimanche 11 novembre.

  • En quoi consiste la nouvelle solution irlandaise ?

En décembre 2017, Theresa May s’est engagée à éviter le retour d’une frontière entre la province d’Irlande du Nord et la République d’Irlande après le Brexit, afin de préserver les accords de paix de 1998. Les Européens avaient alors proposé de maintenir l’Irlande du Nord dans l’union douanière européenne. L’Irlande du Nord devait rester alignée sur les normes réglementaires européennes, le temps de conclure un accord de libre-échange avec l’UE, et à condition que cet accord, lui aussi, évite le retour d’une frontière dans l’île.

Dans le cadre de cette « assurance irlandaise », exigée par ailleurs par Dublin, la frontière effective entre l’UE et le Royaume-Uni, devenu pays tiers après le Brexit, se trouverait donc quelque part en mer d’Irlande. Mais le DUP, le parti unioniste d’Irlande du Nord, s’est braqué, refusant tout net une solution isolant ce territoire du reste du Royaume-Uni. Or malgré ses effectifs réduits, il est un partenaire indispensable de Mme May pour maintenir sa fragile majorité dans le camp conservateur.

  • Le casse-tête du maintien du Royaume-Uni dans l’Union douanière

Pour éviter un blocage du DUP, Theresa May a proposé à Bruxelles une autre option : l’« assurance irlandaise » consistant à maintenir temporairement l’ensemble du Royaume-Uni dans l’union douanière – le temps qu’un accord de libre-échange sans frictions soit négocié avec les Européens après le Brexit. Pourquoi pas, ont répondu ces derniers, mais pas question que Londres puisse décider, comme elle le souhaite, de sortir unilatéralement de l’union douanière : les Européens doivent pouvoir mettre leur veto si la solution alternative pour l’Irlande ne leur convient pas.

Et pas question non plus, si cette nouvelle « assurance irlandaise » venait à être activée, que le Royaume-Uni puisse diverger fiscalement, socialement et réglementairement du reste des Vingt-Sept – en clair, faire du dumping tout en restant dans l’union douanière, donc en bénéficiant de l’absence de droits de douanes avec le continent. Londres doit continuer à respecter, entre autres, les règles liées aux aides d’Etat dans l’Union, ou ses règles fiscales et ses normes environnementales.

La difficulté, c’est qu’il s’agit désormais de coucher ces conditions en terme légaux dans le traité de divorce. C’est la tâche à laquelle se sont attelés les négociateurs ces dernières semaines. Elle est délicate, chronophage, et pleine de chausse-trapes. Les Européens, spécialement les Français, réclament ainsi qu’en cas d’activation de l’assurance irlandaise, le Royaume-Uni restant dans l’union douanière, les eaux britanniques puissent être encore accessibles aux pêcheurs français.

  • Deux difficultés persistantes côté britannique

si le DUP peut-être rassuré par cette nouvelle option, ce sont les partisans du Brexit qui désormais s’inquiètent. Accepteront-ils une solution obligeant leur pays à demander l’autorisation des Européens pour sortir de l’union douanière ? Une solution qui par ailleurs prive le Royaume-Uni de toute politique commerciale autonome, sachant que le maintien dans l’union douanière implique que c’est Bruxelles qui continuera à négocier pour Londres des accords de libre-échange ?

Ces obstacles sont politiquement conséquents, raison pour laquelle les négociateurs et les diplomates bruxellois restent très prudents. Certains estiment quand même que la démission vendredi dernier de Jo Johnson, secrétaire d’Etat britannique aux transports, prouve que « cela bouge » vers un accord à Londres. Contrairement à son frère, l’ex-chef de la diplomatie Boris Johnson, Jo soutient le maintien de son pays dans l’UE, mais il semble avoir décidé de partir parce qu’un accord se finalise.

  • Un agenda désormais très serré

Si Theresa May arrive à convaincre son cabinet de prendre la solution irlandaise sur la table mardi prochain, des rendez-vous entre négociateurs au sommet seront encore nécessaires, afin de vérifier si le gouvernement britannique est bien parfaitement en ligne avec Bruxelles. « Le diable est dans les détails », avait prévenu la chancelière allemande en octobre.

L’accord devrait ensuite être validé au niveau des chancelleries des Etats membres. Puis finalisé lors d’un conseil européen spécial entre les 28 chefs d’Etat et de gouvernement, devant mettre un point final au traité du divorce. Le week-end des 17 et 18 novembre avait été identifié dès mi-septembre pour ce sommet décisif. Mais il n’est pas confirmé : il ne le sera que si de la fumée blanche sort du cabinet britannique.

Un accord peut toujours intervenir un peu plus tard, courant décembre. Mais aujourd’hui, la plupart des experts sont formels : en l’absence d’entente à Noël, les parties vont tout droit vers le « no deal ».