Emmanuel Macron et les chefs d'Etats invités arrivent sous l'Arc de Triomphe, à Paris, pour participer à la cérémonie de célébration du centième anniversaire de l'Armistice du 11 novembre 1918, dimanche 11 novembre 2018. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRANCH-POLITICS POUR LE MONDE

Editorial du « Monde ». Il y avait deux façons de marquer le centenaire de la Grande Guerre, une fois reconnues les graves imperfections de la paix conclue après l’Armistice. On pouvait célébrer une unité factice, saluer respectueusement la présence à Paris du président américain, leader du monde libre, suivant l’expression consacrée, et, avec le président russe, se féliciter que ces puissances ne soient pas en guerre les unes avec les autres. Ou bien l’on pouvait souligner les menaces qui mettent de nouveau cette paix en péril, rongent la démocratie et divisent le camp occidental.

Dimanche 11 novembre, à Paris, Emmanuel Macron a choisi la seconde.

Le président français a décidé que l’affirmation des valeurs qui sous-tendent les régimes démocratiques l’emporte désormais sur l’unité transatlantique, tant l’heure est grave. En déclarant, dans le discours qu’il a prononcé devant près de 80 chefs d’Etat et de gouvernement à l’Arc de triomphe, que « le patriotisme est l’exact contraire du nationalisme », en poussant l’opposition entre les deux concepts jusqu’à qualifier le nationalisme de « trahison du patriotisme », en fustigeant ces nationalistes qui disent « nos intérêts d’abord et qu’importe les autres ! », M. Macron s’adressait, certes, d’abord, à ceux de ses concitoyens qui sont tentés par cette idéologie. Mais le message visait tout aussi directement le président Donald Trump, assis au premier rang de la tribune des dirigeants, à quelques mètres de lui.

Trop de contentieux transatlantiques

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron s’oppose publiquement à un président des Etats-Unis qui revendique son nationalisme et proclame haut et fort sa devise, « America first ». Il l’a fait en avril, à Washington même, dans un discours ovationné par le Congrès américain. M. Trump n’avait pas paru, à l’époque, en prendre ombrage : leurs relations étaient encore chaleureuses, presque complices.

Ce n’est plus le cas. Trop de contentieux transatlantiques, sur le climat, sur l’Iran, sur le commerce, sur Israël et la Palestine, sur la sécurité de l’Europe, ont révélé aux Européens la vraie nature de la fracture avec l’administration américaine : elle ne porte pas sur des incidents de parcours, mais sur les valeurs, sur le multilatéralisme et sur la vision des relations internationales. M. Trump et M. Macron ont échangé des propos aigres-doux par Tweet et interviews interposés, avant et après ces cérémonies du 11-Novembre, et le président des Etats-Unis a affiché une mine maussade tout au long de son séjour parisien.

Si le socle n’est plus américain, alors il doit être européen. Le message martelé par les dirigeants invités à prendre la parole, en priorité dimanche, la chancelière Angela Merkel et le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a été celui de l’unité européenne. Le président Macron a fait le choix très politique de mettre soigneusement en scène, samedi et dimanche, à Compiègne puis à Paris, sa proximité avec la chancelière et la solidité du lien franco-allemand – pourtant très flottant en cette phase de turbulences politiques allemandes. Berlin a accompagné ce mouvement en déléguant à Londres, pour la première fois aux cérémonies du 11-Novembre, le président Frank-Walter Steinmeier, qui s’est incliné devant le cénotaphe : une façon de montrer que l’Europe continuera d’exister au-delà du Brexit, et que l’Allemagne y prendra sa part.

L’ombre au tableau est, hélas !, évidente : l’Europe est elle-même divisée, soumise aux mêmes courants nationalistes que celui qui a porté Donald Trump au pouvoir. Au sein de l’Union européenne, le nombre de gouvernements, soit dominés par des partis nationalistes, soit affaiblis par des coalitions fragiles, augmente. En comparaison, fort de ses pouvoirs présidentiels, de sa majorité au Parlement et de son mandat de cinq ans, M. Macron apparaît aujourd’hui comme le dirigeant le plus solide pour mener, contre le nationalisme, le combat du patriotisme, thème sans doute plus rassembleur que celui d’un « progressisme » mal défini. Encore faut-il que son assise nationale ne s’effrite pas inexorablement.