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Auparavant, les entreprises nous donnaient de l’argent et nous faisaient confiance pour bien l’utiliser. Aujourd’hui, elles nous demandent de démontrer l’efficacité de nos actions, chiffres à l’appui », explique le fondateur d’une association œuvrant dans le logement très social. De nombreux acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS) sont confrontés à la même problématique : ils doivent évaluer l’impact social et environnemental de leurs activités. Encore nouvelle en Europe continentale, l’« impact investing » – la mesure de l’efficacité des projets – est une pratique courante aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Dans ces pays, la méthode SROI (Social Return on ­Investment, ou retour social sur investissement) a le vent en poupe.

« C’est une approche globale de la valeur ajoutée d’un projet, qui ne se limite pas à la dimension financière, mais inclut les coûts et les bénéfices à la fois sociaux, environnementaux et économiques. On examine toutes les retombées pour la société », explique ­Jérôme Saddier, président de l’Avise, une agence créée par la Caisse des dépôts pour aider les acteurs de l’économie sociale et solidaire à se développer.

En France, plusieurs projets visant à mettre au point des indicateurs pertinents sont en gestation. Le plus avancé est l’œuvre de Nicolas Hazard, président du fonds d’investissement Inco, qui organise chaque année en mars l’événement Impact², le « Davos de l’entrepreneuriat social », à Paris. « Nous élaborons un outil de ­mesure et de suivi baptisé ­Mesis à destination des acteurs de l’ESS, en espérant qu’il devienne une norme de place », explique M. Hazard.

Un fonds pour développer des indicateurs

Pour chaque entreprise analysée, une grille de 300 critères financiers et de 300 critères ­extra-financiers est remplie. Cette démarche vise à mesurer les « externalités » des entreprises, qu’elles soient positives ou négatives : création d’emplois, émissions de CO2, coût sociétal ou environnemental… Mesis propose des outils d’évaluation spécifiques pour chacun des 15 secteurs d’activité répertoriés.

Un autre projet, tout aussi ambitieux, est porté par Christophe Itier, haut-commissaire à l’économie sociale et solidaire et à l’innovation sociale, qui va créer prochainement un fonds de 1 million d’euros pour développer des indicateurs, en espérant attirer des capitaux privés par effet boule de neige. « Des outils et des méthodologies seront mis à disposition des acteurs de chaque filière. Notre objectif est de démontrer l’efficacité d’un investissement dans l’ESS afin de changer les regards sur cette économie », insiste M. Itier.

Le travail d’accompagnement, souvent décisif

Dans certains secteurs d’activité, mesurer l’impact d’un projet est relativement simple. Par exemple lorsqu’il s’agit d’évaluer le nombre d’emplois créés. Sur le plan environnemental, d’énormes progrès ont été faits depuis dix ans dans la mesure des émissions de CO2, mais mesurer toutes les externalités d’une activité industrielle reste un casse-tête.

De nombreux acteurs de l’ESS militent pour la création d’une mesure d’impact « à la française », qui tiendrait davantage compte des critères qualitatifs.

Hélas, les données ne sont pas toujours disponibles. Par respect de la vie privée, les spécialistes de l’insertion de personnes exclues du marché du travail ne « pistent » pas ceux qui sont passés chez eux. Difficile donc d’évaluer avec précision le taux de retour à l’emploi de ces personnes plusieurs années après leur prise en charge.

Et même lorsqu’ils sont disponibles, il arrive que les chiffres traduisent imparfaitement la valeur ajoutée d’une structure solidaire. Par exemple, dans le logement très social, considérer uniquement le nombre de personnes hébergées est insuffisant, car cela ne dit rien de la qualité de l’hébergement, de sa localisation… De plus, considérer uniquement les chiffres revient souvent à omettre le travail d’accompagnement réalisé par les associations sur le terrain, souvent décisif lorsqu’il s’agit d’insertion.

De nombreux acteurs de l’ESS militent pour la création d’une mesure d’impact « à la française », qui tiendrait davantage compte des critères qualitatifs. « Nous combinons des éléments d’appréciation à la fois quantitatifs et qualitatifs. D’abord parce qu’il n’existe pas toujours d’indicateurs quantitatifs suffisamment fiables ou universels pour mesurer cet impact social, mais surtout parce qu’il nous apparaît fréquemment que la mesure d’impact social ne peut se réduire à une succession de chiffres », explique un responsable de la banque privée Lombard Odier. Une opinion partagée par M. Hazard : « Plus on considère un horizon lointain, plus les indicateurs qualitatifs sont nécessaires pour traduire la réalité. »