Emmanuel Macron lors de son discours à l’Internet Governance Forum, au siège de l’Unesco, à Paris, le 12 novembre. / POOL / REUTERS

La régulation est inévitable : elle peut se faire avec vous, ou contre vous. C’est, en substance, le message qu’a envoyé Emmanuel Macron aux grandes sociétés du Web, dans un discours prononcé à l’ouverture de l’Internet Governance Forum (IGF), à Paris, lundi 12 novembre. Le président de la République y a évoqué les « menaces » pesant à son sens sur Internet, un outil porteur de « formidables opportunités », mais dont les valeurs d’origine serait aujourd’hui en danger, et « commence aussi à être décrit par certains comme une menace pour nos sociétés démocratiques ».

Quelles sont, précisément, ces « menaces » ? Outre les conflits armés à proprement parler, contre lesquels un « appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace » a été signé dimanche, M. Macron a cité pêle-mêle la désinformation, la propagande terroriste, le harcèlement et les contenus haineux, ainsi que « l’anonymat, qui doit continuer à permettre la liberté d’expression, mais ne doit pas permettre à des criminels ou des terroristes d’éviter les poursuites ». Mais aussi « la coagulation entre discours de pays totalitaires, qui ont toujours vu Internet comme une menace, et les anticorps démocratique qui sont en train de voir Internet être utilisé dans nos démocraties par des régimes totalitaires pour nous déstabiliser ».

Internet californien, Internet chinois

Sur tous ces dossiers, les grandes entreprises du numérique ont un rôle majeur à jouer, et doivent s’attendre à davantage de régulation de la part de la France et de l’Europe, a estimé M. Macron. « J’entends déjà le murmure désapprobateur à l’évocation du mot régulation », a-t-il dit, ironisant sur « la saine défiance à l’encontre des gouvernements ». « Tous les gouvernements ne se valent pas », a-t-il toutefois justifié, dans une pique adressée aux grandes entreprises américaines du Net, qui disent toutes appliquer la loi des pays où elles opérent.

« On ne doit pas être dans la relation avec les gouvernements dans une forme d’indifférenciation », a dit M. Macron, qui considère qu’il existe aujourd’hui une « fausse alternative entre deux modèles : la complète autogestion sans gouvernance, et celui d’un internet cloisonné et surveillé ». La France et l’Europe doivent incarner une troisième voie, a-t-il estimé, entre « l’Internet californien, et l’Internet chinois ».

Cette troisième voie serait celle de la corégulation, a estimé le président de la République. « Il nous faut apprendre à réguler ensemble », a dit M. Macron, évoquant à la fois la société civile, les ONG et les acteurs privés. « Ce n’est pas aux grandes plateformes de fixer la doctrine sur la haine ou la liberté d’expression (…) Mais il nous faut sortir du statut binaire d’éditeur [à forte responsabilité juridique, celui des médias en ligne] et d’hébergeur [à faible responsabilité juridique, celui de YouTube ou Facebook]. Les grandes plateformes ne peuvent pas être exonérées de toute responsabilité. Ces plateformes doivent assumer des obligations renforcées, par le statut d’accélérateur de contenus. »

Ce troisième statut, déjà évoqué dans plusieurs rapports parlementaires, créerait de nouvelles responsabilités pour les plateformes, dont le rôle principal est d’héberger des contenus, mais qui en assurent aussi une sélection, par exemple par le biais de recommandations.

Fiscalité, vie privée, droit d’auteur…

Les grandes sociétés du numérique sont donc prévenues : M. Macron a déroulé, tout au long de son discours, une série de domaines dans lesquels ils peuvent s’attendre à voir de nouvelles régulations apparaître dans les prochains mois. A commencer par l’épineux dossier de la « juste taxation » de leurs revenus, aujourd’hui jugée « inéquitable ». Mais aussi sur la vie privée, ou le droit d’auteur : deux mois après l’adoption d’une importante – et contestée – directive sur le droit d’auteur au niveau européen, qui doit être prochainement transposée en droit français, le président de la République a réaffirmé sa conviction que « se battre pour les auteurs, se battre pour le copyright, ça n’est pas ringard ».

De nouvelles « règles » pourraient également être proposées pour un « droit à l’information de qualité », ou encore visant à renforcer la « confiance dans le cyberespace », à savoir la sécurité informatique. Sur ces différents domaines, l’Elysée ne passera pas nécessairement par la loi. M. Macron a dit à plusieurs reprises son envie de mettre en place des coopérations volontaires avec les grandes plateformes.

Parmi elles, notamment, celle qui va débuter entre l’Etat français et Facebook sur la modération des contenus haineux, annoncée par le président français lors de son discours. Le géant américain a accepté d’ouvrir ses portes à un « groupe de travail » comprenant plusieurs officiels français, qui pourra examiner la manière dont l’entreprise travaille à la suppression des messages de haine. Un modèle de collaboration public-privé qu’Emmanuel Macron semble souhaiter voir étendu à d’autres domaines, et à d’autres pays.