Il s’était fait remarquer sur le Black Focus de Yussef Kamaal. Yelfris Valdés est un des trompettistes les plus demandés de Londres, aussi à l’aise dans un hommage à Donald Byrd ou Freddie Hubbard que sur le Songbook de Cachao. Son premier EP, The World of Eshu Dina, sorti en début d’année, s’inspire de la Fourth World Music de Jon Hassell, mélange de rythmes traditionnels et de technologies électroniques.

« Le jazz et la salsa » a rencontré Yelfris Valdés le lendemain du concert qu’il a donné le 18 octobre 2018 au London Latin Jazz Festival.

Yelfris Valdés : « The World of Eshu Dina ». / EC1 STUDIOS

Yelfris, quelle est votre formation musicale ?

La formation à Cuba est exclusivement classique. Je joue de la trompette depuis l’âge de huit ans. Quand vous sortez de l’ISA (Instituto Superior de Arte), vous avez étudié la musique pendant quinze ans.

Vous venez d’une famille de musiciens ?

Absolument pas. Je suis le premier. Très tôt, mon père a remarqué que j’étais doué pour le rythme, j’ai passé des tests et ils furent excellents. Je voulais être percussionniste mais ça n’était pas possible, alors j’ai choisi la trompette.

Est-il vrai que vous avez fait votre première tournée internationale à l’âge de 16 ans ?

C’est exact. J’ai fait ma première tournée à l’étranger avec Carlos Maza, un musicien Chilien établi à Cuba. Le répertoire était jazz avec des éléments folks, afro-cubains et d’autres influences. Mon premier concert était à Jazz à Vienne [avec Yuvisney Aguilar que nous avons rencontré il y a quelques semaines]. J’étudiais encore au conservatoire.

Comment êtes-vous rentré dans Sierra Maestra ?

Je faisais mon armée. C’est obligatoire à Cuba, entre le conservatoire et l’université. Vers la fin de la deuxième année, un camarade m’a dit : « Sierra Maestra fait passer des auditions. C’est demain le dernier jour, il faut que tu y ailles ! » Ils étaient déjà très connus à l’époque, moi j’étais un gamin. J’y suis allé, ils avaient déjà choisi quelqu’un. Ma façon de jouer leur a plu. Ils m’ont dit que si l’occasion se présentait, on m’appellerait.

Et c’est ce qu’ils ont fait. Trois mois après, je faisais partie du groupe. J’ai joué avec Sierra Maestra pendant les quatre années de ma période universitaire. C’était fou, mes profs jouaient avec Omara Portuondo et le Buena Vista Social Club, et moi avec Sierra Maestra. Ils me disaient : « Yelfris, on n’a plus rien à t’apprendre ! »

Qu’est-ce qui vous a décidé à quitter Sierra Maestra pour vous installer à Londres ?

J’ai joué pendant dix ans avec Sierra Maestra. J’ai fait beaucoup de rencontres. J’ai commencé à écrires les arrangements, mes propres compositions. Je voulais amener ma musique vers d’autres styles. À Cuba, la musique était principalement salsa, timba, et maintenant reggaeton. Je voulais explorer de nouveaux horizons.

Quand avez-vous découvert le jazz ? Très tôt, autour de dix ans. Vous savez, à Cuba, tout le monde est fanatique de musique. même quand on ne l’étudie pas.

Quel album ?

Wynton Marsalis : Think of One ! Ça m’a retourné le cerveau.

Comment faisiez-vous pour explorer cette musique à Cuba ?

Les musiciens qui voyageaient ramenaient des cassettes, et plus tard des CDs. Lorsque l’album perdu de John Coltrane est sorti, tout le monde se battait pour l’avoir.

C’était compliqué de jouer du jazz pendant vos études ?

À l’école, vous n’avez pas le droit, bien sûr. C’est une éducation très stricte, uniquement classique, l’école russe. On vous apprend des gestes subtils, extrêmement précis. Si vous jouez du jazz ou de la pop, ça peut altérer cette précision. Pour jouer du jazz, il fallait se cacher.

Vous vous souvenez de votre premier concert de jazz ?

C’était avec Oscar Valdés, un des musiciens d’Irakere. Quand ils se sont séparés, il a fondé Diákara. Du jazz afro-cubain. C’était magnifique. On a joué pendant huit ans ensemble. J’ai énormément appris avec lui.

Quels sont vos jazz(s) ?

Je ne saurai vous dire. J’aime tous les styles, peu importe l’origine. Si une chose m’intéresse, je vais la réimaginer, la recréer à ma façon.

Votre musique n’est pas vraiment du jazz afro-cubain, n’est-ce pas ?

J’aimerais pouvoir me débarrasser de l’étiquette cubaine. J’ai plus à donner que la musique cubaine.

Vous avez beaucoup joué avec la nouvelle scène du jazz UK [incarnée par Shabaka Hutchings ou Yussef Kamaal]. Votre EP s’inscrit dans cette mouvance. Quel est votre regard sur ce mouvement ?

C’est formidable ce qui se passe en ce moment à Londres. Les jeunes consomment la musique, ils achètent des CDs, c’est la nouvelle pop ! C’est formidable, vraiment.

Yelfris Valdés : The World of Eshu Dina (2018, EC1 Studios)

London Latin Jazz festival, de classiques en surprises

Sixième édition pour le London Latin Jazz Fest qui s’est déroulé à Londres du 16 au 21 octobre 2018. Il y a deux ans le créateur du festival, le pianiste Alex Wilson, confiait les clefs à sa jeune consœur Eliane Correa. La manifestation se veut une vitrine de la scène latine locale. Contrat rempli avec la formation latin jazz de la maîtresse des lieux, le projet monté pour l’occasion par le percussionniste vénézuélien Ernesto Marichales et l’orchestre salsa du vétéran Roberto Pla.

Que retenir de cette édition ? La démonstration de jazz(s) donnée jeudi soir par le trompettiste cubain Yelfris Valdés. Un premier morceau de trente minutes sans interruption a plié le match, du grand classissisme au latin jazz, en passant par le tempo plus dansant de la nouvelle vague UK. Il a suffi ensuite au trompettiste de dérouler toute la palette de son art, une formalité, avant un final sous forme de marching band pour une dernière touche sucrée. On ressort ébloui, les oreilles vibrantes encore de notes cristallines.

Au menu samedi soir la soupe à la grimace. La tête d’affiche du festival, la chanteuse cap-verdienne Elida Almeida n’avait pas réussi à décrocher son visa pour le Royaume-Uni. Le plan B, Aleh Ferreira, ancien chanteur du groupe brésilien Banda Black Rio, a remplacé au pied levé la . Vous savez quoi ? Ce fut formidable. Sold out ! Aleh est populaire dans la diaspora brésilienne. Samba, bossa, funk brésilien, une atmosphère magique a enveloppé le Pizza Express Live de Soho, le bonheur d’un moment qui n’aurait jamais dû avoir lieu.