Angela Merkel, à Strasbourg, le 13 novembre. / Jean-Francois Badias / AP

A sa manière, un discours bref – 20 minutes, sobre et sans pathos –, Angela a fait du Merkel au Parlement européen, mardi 13 novembre, à Strasbourg, pour son premier discours depuis onze ans dans « le plus grand hémicycle démocratique du monde ». Peut-être le dernier, la chancelière ayant annoncé renoncer à la présidence de son parti, la CDU, en décembre, et ne pas vouloir briguer de cinquième mandat en 2021. La dirigeante en a profité pour établir ses priorités pour la fin de son « règne ».

Venant à l’aide du président français, Emmanuel Macron, brutalement critiqué par son homologue américain, Donald Trump, sur Twitter, la chancelière allemande a appelé à la constitution d’une « véritable armée européenne, une armée qui compléterait l’OTAN sans la remettre en cause ». « L’époque, où nous pouvions sans problème compter sur d’autres, est terminée », a ajouté Mme Merkel dans une allusion transparente à l’attitude de défi de M. Trump à l’égard de la construction européenne. Dans cette même logique, Angela Merkel a également réitéré sa proposition d’un « conseil de sécurité européen » avec « présidence tournante » et a réclamé « une politique d’exportation commune des armements ».

Sur Twitter, l’eurodéputé Arnaud Danjean, pourtant membre des Républicains, donc de la famille PPE, largement dominée par la CDU, a émis des doutes. « C’est sympathique ces références répétées à une « armée européenne », décidément très à la mode. Mais j’attends toujours quelques précisions : quelle chaîne de commandement ? Quelle responsable politique ? Quelles règles d’engagement ? Sans doute, des détails de spécialistes sourcilleux », souligne ce spécialiste des questions de défense.

Sans les nommer, Mme Merkel a fustigé les dérives des gouvernements hongrois et polonais par rapport à l’Etat de droit.

La chancelière, affaiblie politiquement en Allemagne pour sa politique d’ouverture aux migrants de 2015, a aussi beaucoup insisté sur la « tolérance », qui constitue « l’âme de l’Europe » et la « solidarité européenne sans laquelle l’Europe ne peut pas être un succès ». Et réclamé qu’enfin, les Européens parviennent à « des solutions communes », eux qui n’arrivent toujours pas à s’entendre sur le partage de l’accueil des réfugiés, la réforme des règles de Dublin étant complètement bloquée par les capitales de l’Est.

Sans les nommer, Mme Merkel a aussi fustigé les dérives des gouvernements hongrois et polonais par rapport à l’Etat de droit. « Ceux qui remettent en cause la légalité dans leur pays, la liberté de la presse, remettent aussi en cause l’Etat de droit dans l’ensemble de l’Union. Cette dernière ne peut fonctionner en tant que communauté de droit que si le même droit est respecté partout. » « Le nationalisme et l’égoïsme ne doivent plus jamais avoir de prise en Europe », a conclu la chancelière retrouvant les accents du président Macron lors de son discours lors des commémorations du 11-Novembre.

Sur le front économique, la chancelière a endossé la timide ouverture de son ministre des finances social-démocrate, Olaf Schulz, à propos de la taxe GAFA (projet de taxation des géants du numérique), chère à Emmanuel Macron, estimant qu’en cas d’absence d’accord au niveau de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2020, « il faudra agir au plan européen et l’Allemagne sera prête à le faire ».

En revanche, aucun mot au sujet du budget de la zone euro réclamé par le président français. Ni aucun rappel de l’accord franco-allemand de Meseberg de juin dernier, dans lequel la chancelière s’était pourtant engagée à une feuille de route ambitieuse pour renforcer l’intégration de la zone euro.

Les élus n’ont pas épargné la chancelière

Serait-elle désormais devenue trop faible, au sein d’une coalition CDU-SPD fragilisée, pour avancer sur ces sujets de solidarité financière controversés en Allemagne ? Malgré une standing ovation, les élus n’ont pas épargné la chancelière, à qui beaucoup d’Européens reprochent un manque de vision et de volontarisme sur l’Europe, et d’avoir notamment fait passer les intérêts allemands avant ceux de l’Union durant la crise de la dette, imposant des recettes d’austérité très dures aux pays du Sud.

« Angela Merkel a toujours choisi la voie européenne, mais elle ne s’est pas pour autant battue pour l’Union. Elle a refusé une solution européenne pendant la crise grecque, ce qui a abouti à la création de la Troïka [le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et la Commission européenne], avec une absence de contrôle parlementaire, un vrai gouvernement de bureaucrates », fustigeait Udo Bullmann, président des sociaux-démocrates au Parlement de Strasbourg, peu avant le discours d’Angela Merkel.

« Pourquoi le gouvernement allemand reste-t-il muet sur l’Eurozone ? », a également regretté l’allemande Ska Keller, co-chef de file du groupe des Verts à Strasbourg, qui a aussi déploré « le manque d’ambition de l’Allemagne sur les questions environnementales ». « Arrêtez d’appuyer sur le frein, sans cela, vous ne serez pas à la hauteur de vos discours. »

« Quand vous et vos collègues du Conseil européen [les Etats membres] allez vous mettre fin à ce comportement scandaleux et ces attaques contre les valeurs européennes », a demandé Guy Verhofstadt, le leadeur des Libéraux à Strasbourg, déplorant que la prestigieuse université d’Europe centrale soit bientôt contrainte de déménager de Budapest à Vienne, à cause de la politique du premier ministre hongrois, Viktor Orban.