Le site de la Banque de France et son coffre-fort géant, à La Courneuve. / Takuji Shimmura

Les automobilistes pris dans les embouteillages de l’A86 à La Courneuve, en Seine-Saint-Denis, vont côtoyer sans s’en douter un trésor à peine concevable. Le bâtiment blanc flambant neuf qui surplombe depuis peu l’autoroute dans cette ancienne zone industrielle abrite le plus grand coffre-fort d’Europe : le nouveau centre fiduciaire de la Banque de France, inauguré mardi 13 novembre. Un château fort ultramoderne, entièrement automatisé et hautement sécurisé, dans lequel transiteront, à partir de mai 2019, tous les billets en circulation en Ile-de-France et un quart des coupures utilisées dans l’Hexagone. Soit un petit commerce de 1,1 milliard de billets de 5 à 500 euros chaque année.

Le jeu de volumes géométriques en acier et en céramique immaculés dessinés par l’architecte Jean-Paul Viguier abrite, sur 16 000 m2, plusieurs fonctions : c’est à la fois un centre de stockage de monnaie et une chaîne automatique de tri, de comptage et de recyclage de billets. « Il fallait concevoir un bâtiment imprenable et y loger un process industriel, tout en y faisant entrer de la lumière naturelle et du confort pour les 120 salariés », résume M. Viguier. Alors qu’un nouveau quartier du Grand Paris va se développer sur ces friches industrielles, « il fallait réussir à faire d’une usine hermétique un lieu intégré dans la ville », ajoute le directeur des projets « Nouveaux centres fiduciaires » de la Banque de France, Thierry Para.

Doubles planchers en béton, barrières multiples, murs épais, filets d’acier, douves, caméras, lasers et autres capteurs, sas à double identification et empreinte rétinienne, système informatique isolé du monde extérieur… L’endroit est bien gardé. « On a travaillé à différents scénarios, mais le risque principal, c’est l’intrusion violente, façon paramilitaire », explique M. Para. A l’intérieur, visite guidée avant l’ouverture, mais photos interdites.

Au centre trône « la serre », l’immense réserve de billets de la Banque de France, une cathédrale cubique de 26 mètres de hauteur où s’empilent onze niveaux de rayonnages en acier peint en jaune, parcourus par des bras automatiques. Des convois sous bonne escorte y apporteront des montagnes d’euros fraîchement imprimés à Chamalières (Puy-de-Dôme) ou à l’étranger. S’y ajoutera l’argent utilisé au quotidien dans une bonne partie de la France. Combien peut-on stocker dans un coffre pareil ? « Beaucoup d’argent », répond, laconique, M. Para.

Tapis roulants et bras robotiques

Tout autour, un dédale de tapis roulants, une escouade de bras robotiques et un ballet de chariots automatiques guidés par un cerveau central doivent convoyer les cartons de billets livrés ou attendus par la quarantaine de camions de transports de fonds qui viendront chaque jour déposer la recette des centres commerciaux et des boutiques du Grand Paris, et chercher les commandes de monnaie de leurs clients.

Etape obligée pour tous les billets qui arrivent : le tri. Des employés insèrent par poignées les coupures usagées dans une batterie de machines, qui vont les trier à la cadence de quarante billets par seconde dans un bruit assourdissant. La plupart seront remis en service dans de nouvelles liasses par paquets de mille. Mais 15 %, trop chiffonnés au fond des poches, passés à la machine à laver ou déchirés par les changements de mains, sont hachés menus dans la foulée et aspirés vers de grandes poubelles. « Les machines détectent aussi les faux : les coupures suspectes sont mises de côté pour être examinées par un œil humain », précise M. Para. Les faux billets restent rares : à peine 0,0005 %.

Juste à côté de ce coffre-fort géant, la Banque de France s’installe dans deux bâtiments restaurés, totalisant 6 000 m2 de bureaux : un bel édifice en briques de 1923 et une barre de béton métamorphosée par Jean-Paul Viguier, qui accueilleront 160 salariés dans des bureaux tout neufs et un environnement bien chahuté. Coût total de l’opération pour la banque : 165 millions d’euros. L’institution regroupe ainsi, sur ce site de plus de quatre hectares autrefois occupé par les usines Babcock, des activités auparavant dispersées sur cinq sites de région parisienne – sans abandonner toutefois son siège historique du Palais-Royal.

Malgré les contraintes de sécurité du centre fiduciaire, les bâtiments de bureaux seront ouverts au public : c’est désormais ici, à deux pas des réserves de liquide les plus considérables du pays, que seront accueillis les habitants de Seine-Saint-Denis en situation de surendettement, dont le département affiche un taux record.