Opération de secours, le 5 novembre, à Marseille, après l’effondrement de deux immeubles qui a coûté la vie à huit perseonnes. / GERARD JULIEN / AFP

Editorial du « Monde ». L’habitat indigne tue. L’effondrement de deux immeubles en plein centre de Marseille, le 5 novembre, vient rappeler une fois de plus que la vétusté des logements n’est pas seulement une question de dignité humaine, mais aussi un enjeu de salubrité publique, qui peut avoir des conséquences dramatiques. Pour avoir été négligée, cette cruelle réalité a coûté la vie à huit personnes, qui habitaient rue d’Aubagne.

Il y a treize ans, une série d’incendies dans des hôtels meublés, à Paris, entraînant la mort de 48 occupants, avait été à l’origine d’une prise de conscience des pouvoirs publics, en renforçant sensiblement l’arsenal juridique contre ce fléau. Pourtant, malgré les mesures prises à l’époque, l’habitat insalubre continue d’affecter aujourd’hui 420 000 logements en métropole et 70 000 outre-mer. Le phénomène gangrène les copropriétés en difficulté non seulement en centre-ville, comme à Marseille, mais aussi en banlieue. C’est le cas notamment de ces ensembles surdimensionnés construits dans les années 1970, dont certains comptent jusqu’à 5 000 logements, comme à Grigny 2, où les balcons menacent de s’effondrer et où la sécurité incendie est caduque. Les quartiers pavillonnaires ne sont pas épargnés, surtout lorsqu’ils se retrouvent divisés en multiples petits appartements meublés suroccupés, dans un bâti inadapté. Rien qu’en Ile-de-France, on en dénombre un millier.

Intrication inouïe des responsabilités

Il n’y a aucune fatalité dans ce triste état des lieux. Mais la guerre contre l’insalubrité prend des allures de combat sans fin lorsqu’on doit surmonter des procédures administratives et judiciaires interminables et surtout l’intrication inouïe des responsabilités. Celles du propriétaire, d’abord, avec un jeu compliqué des acteurs entre bailleurs, occupants, syndic, syndicat, indivisaires, membres de sociétés civiles immobilières. S’y ajoutent les compétences partagées entre les municipalités et l’Etat. Aux villes incombent la sécurité des immeubles, leur solidité et le devoir de prendre des arrêtés de péril ; aux préfets, celle de constater l’insalubrité, par le biais des Agences régionales de santé, mais dont la mission de veiller à la santé environnementale passe trop souvent après d’autres enjeux, jugés plus prioritaires.

De leur côté, certains propriétaires, très bien informés, gagnent du temps en contestant les arrêtés, se cachent derrière des montages compliqués de sociétés, organisent leur insolvabilité. Résultat, en bout de chaîne, la justice, censée sanctionner marchands de sommeil et propriétaires indélicats, ne le fait que de longues années après la constatation des délits.

En théorie, les villes ont déjà à leur disposition tous les outils pour faire face au problème, à commencer par l’injonction de travaux et leur exécution d’office si le propriétaire n’obtempère pas. Elle peut impliquer l’arrêt du paiement des loyers jusqu’à la mise aux normes, voire la confiscation du bien. Mais il faut pour cela des fonctionnaires bien formés, des moyens administratifs maintenus et une volonté politique de fer pour les municipalités.

Les mesures que le gouvernement vient d’annoncer – un audit approfondi à Marseille, un plan de lutte contre les copropriétés dégradées avec, entre autres, la prise en charge par l’Etat des travaux urgents – complètent l’arsenal existant. Mais elles ne pallieront pas l’impéritie de certains maires, qui privilégient encore trop souvent l’inertie, favorable aux intérêts particuliers de quelques-uns, jusqu’à ce que l’irréparable s’impose à tous.