Fabrice Pellerin, le 19 octobre, au bassin olympique Camille-Muffat. / ELEONORA STRANO pour « Le Monde »

Son temps sur 100 m nage libre reste un secret, mais pour un peu, Christian Estrosi volerait la vedette aux nageurs de l’Olympic Nice Natation (ONN). Le maire de Nice est partout, au bassin olympique Camille-Muffat : son nom est gravé dans le marbre sur la plaque d’inauguration, sa silhouette au premier plan de l’immense photo murale en noir et blanc, où les médaillés des Jeux (JO) de Londres prennent la pose, triomphants, face à la promenade des Anglais. Réservé à l’élite, le bâtiment est noyé au milieu des chantiers, dans le quartier de la Plaine du Var, dans l’ouest de la ville.

« Alors attention, en place et top ! » En cette mi-octobre, le jour n’est pas encore levé sur Nice, mais les nageurs se jettent à l’eau le coeur léger. Il y a là Charlotte Bonnet, leader désignée. Jordan Pothain, l’élève appliqué, qui a rejoint le groupe en septembre, en même temps que Jérémy Stravius, la force tranquille. Ladislas Salczer, l’esprit taquin. Tom Paco Pedroni, le mauvais perdant. Jérémy Desplanches, l’Helvète « tout-terrain », spécialiste du quatre-nages. Meven Grandjean, l’ado bien dans sa peau, Charles Rihoux, le discret, et Lilou Ressencourt, la benjamine (15 ans). En guise de « prof », version quadra imberbe, Fabrice Pellerin.

Dans l’imaginaire collectif, qui dit entraîneur de natation dit personnage gouailleur, chaînes en or qui brillent et biceps saillants. Pellerin tient de l’anti-Philippe Lucas. L’intello contre le fan de Johnny. L’un est le champion du kilométrage. L’autre privilégie une méthode basée sur « l’apprentissage plutôt que la quantification », mais cela n’empêche pas Pellerin d’avoir un respect sincère pour Lucas (et réciproquement), qui a ouvert la voie avec Laure Manaudou.

L’élite nationale à Montpellier pour les championnats de France

Après des championnats d’Europe cet été à Glasgow, encourageants pour la natation tricolore en reconstruction (sept médailles dont quatre titres ainsi que quatre médailles en eau libre), l’élite nationale de la discipline se retrouve à Montpellier, du 15 au 18 novembre, pour les championnats de France en bassin de 25 mètres, première compétition nationale de cette nouvelle saison. Ces épreuves seront qualificatives pour les Mondiaux d’Hangzhou (Chine), qui auront lieu du 11 au 16 décembre.

Parmi les têtes d’affiche présentes à Montpellier figurent Charlotte Bonnet (quadruple médaillée à Glasgow), Jordan Pothain et Jérémy Stravius de l’Olympic Nice natation, ainsi que Fantine Lesaffre (championne d’Europe du 400 m 4 nages), Mélanie Henique et Mehdy Metella du Cercle des nageurs de Marseille.

« J’aime bien quand la pâte à modeler est encore chaude »

L’entraîneur niçois parle de son bassin comme d’un laboratoire. Alchimiste pour les uns, gourou pour les autres. « Pellerin, “l’eaubsédé” », a un jour titré L’Equipe. « Ma méthode ? » Long silence. Il cherche et soupèse ses mots, puis se lance, à grand renfort de métaphores  : « Je vois chaque séance comme un cours, de maths ou de musique. L’idée, c’est qu’ils ont un cockpit, et à chaque fois, on leur ajoute des commandes. » Pothain confirme : « Il ouvre une palette de compétences pour ensuite pouvoir piocher dedans. Depuis six semaines, j’ai l’impression d’apprendre des choses d’une séance à l’autre, ça peut être un angle dans ma flexion de tête, un placement de bassin… »

Le sprinteur de 24 ans a quitté Grenoble pour Nice, en quête d’un nouvel élan en vue des JO de Tokyo, après deux ans à avoir « pris des portes ». Il ne se voyait pas ailleurs. Nice a la réputation d’accueillir des premiers de la classe. En 2012, à Londres, le « gang des Niçois » braque tout ou presque (9 médailles), Yannick Agnel et Camille Muffat rapportent en deux jours autant de médailles d’or que toute la natation française jusqu’alors. Fabrice Pellerin est élu « manageur sportif de l’année » par L’Equipe. Le trophée figure en bonne place dans son bureau.

Quelques mois plus tard, la belle histoire tourne court et ses élèves désertent un à un. Clément Lefert s’exile à Londres pour devenir trader, Yannick Agnel s’en va voir si l’eau n’est pas plus bleue à Baltimore avec Bob Bowman, mentor de Michael Phelps, rompant avec fracas au printemps 2013. Un peu plus d’un an plus tard, Camille Muffat dit stop pour goûter à la vie d’après – tragiquement écourtée par un accident d’hélicoptère en mars 2015 sur le tournage de l’émission « Dropped ».

Depuis, les sollicitations médiatiques se sont espacées. « On n’avait pas disparu de la circulation mais c’est cyclique, c’est normal. J’ai pris le même plaisir dans cet intermède qu’en 2011-2012 », insiste Fabrice Pellerin. Après l’imbroglio Agnel, il a été décrit comme froid et distant. On le sent gêné d’y revenir. A-t-il été meurtri ? « Oui forcément, c’est injuste. Si j’en ai souffert, c’est dans le sens où ça a été traité de façon disproportionnée. Mais ce qui s’est passé avec Yannick, ça a pu se produire avec d’autres nageurs, ça fait partie du jeu. »

L’épisode, assure-t-il, ne l’a pas fait douter. « A tort ou à raison, j’ai toujours voulu respecter mes principes et convictions. » Les résultats sont revenus : en août, ses protégé(e) s repartent des championnats d’Europe à Glasgow avec cinq médailles, dont quatre pour Bonnet (trois en or, une de bronze), seule rescapée des JO de Londres. Pellerin est reparti à la tâche avec des jeunes recrues et plaide l’amour de la page blanche. « J’aime bien quand les nageurs n’ont pas encore développé des stéréotypes de nage et des croyances, quand la pâte à modeler est encore chaude. Avoir une vitrine pour une vitrine, ça ne m’intéresse pas. »

L’arrivée de l’expérimenté et multimédaillé Stravius (30 ans) est l’exception qui confirme la règle. Au début, Pellerin n’est pas emballé, refuse de « trahir » son ami Michel Chrétien, entraîneur historique du Picard. « Michel m’a dit : “A priori, on a fait le tour”. Jérémy s’est façonné de façon très saine et sa technique est très propre, c’est pour ça que j’ai dit oui. » Stravius a dû l’appeler trois fois avant que Pellerin décroche, manière de tester sa motivation. « Je fais souvent ça, concède-t-il. J’ai craqué car il a une forme de naïveté, de fraîcheur. Je ne fais pas de distinguo entre Lilou Ressencourt, qui a 15 ans, et lui. »

Séances « jetées à la poubelle »

Comme Philippe Lucas, Pellerin a aussi été un nageur « très moyen ». Adolescent, il aurait plutôt opté pour une école de cinéma, « mais j’ai toujours été très seul dans mes désirs artistiques ». Il s’est rabattu sur le professorat de sport (Staps), vite abandonné. En 2000, il reprend les rênes de l’ONN. Dix-huit ans que cela dure malgré des opportunités de partir au Canada, où les coachs ont carte blanche. « En France, on a des subventions ici ou là, les institutions sont très présentes. Par contre, on demande une contrepartie quasi quotidienne : il y a des choses à faire et à ne pas faire, on peut prendre un kiné mais pas un chiropracteur… Il y a un paradoxe entre les moyens et la façon dont on les utilise, et on se prive de choses excellentes, innovantes. » Malgré ces freins, il a choisi de rester à Nice car en termes d’autonomie, « je me suis rendu compte qu’en France j’étais sans doute au meilleur endroit ».

Pour chasser la routine, l’entraîneur dévoile une ficelle radicale : « A la fin de la saison, mes séances, je les jette à la poubelle, je ne garde rien. » Charlotte Bonnet, arrivée sous ses ordres en 2010, acquiesce : « La lassitude, elle va pas trop s’installer car il se remet en question chaque année. » La championne d’Europe cite l’apprentissage du pilates et du taekwondo intégré au planning depuis l’an passé. Elle n’a pas le souvenir d’avoir eu deux séances identiques.

Cet après-midi-là, elle et ses comparses avalent des longueurs en tee-shirt, histoire de corser l’exercice, puis des relais par équipes, plus récréatifs. En revanche, en huit ans, le technicien a changé sur un point, à en croire la nageuse de 23 ans : « Souvent, c’était des remarques plus adressées aux filles qu’aux garçons. Il était peut-être un peu moins patient avant sur certaines choses. »

Discret voire secret sur sa vie personnelle, Pellerin s’appuie « tous les jours » sur ses connaissances en kinésiologie, cette « science du mouvement humain » : « Je m’en sers de façon clinique dans l’action, c’est une source d’inspiration forte. » Au même titre que ses deux obsessions, la musique et le cinéma. Quand il ne pense pas natation, Pellerin le guitariste reprend des musiques de film avec un groupe local, Harpsody Orchestra. « On va me prendre pour un débile mais je suis persuadé qu’un jour je ferai un film, j’essaye d’ailleurs, j’écris des bouts de script. Il y a toujours un enfant chez moi qui me dit “Fabrice, n’oublie pas ce que tu voulais faire quand tu avais 12-13 ans.” Je n’aimerais pas terminer sans donner satisfaction à cet enfant-là. » Et se jeter enfin dans le grand bain du cinéma.

L’Olympic Nice natation est redevenu un « laboratoire » à champion(ne)s