L’AS Monaco est notamment accusée d’avoir proposé à un joueur de 12 ans des primes anticipées à la signature, accompagnées d’aides au logement et à la scolarité, au titre d’un accord « sous seing privé. » / YANN COATSALIOU / AFP

Les « Football Leaks », cette série d’enquêtes réalisées à partir de « plus de 70 millions de documents » par le consortium European Investigative Collaborations (EIC), ont mis en lumière les dérives liées aux transferts et recrutement des joueurs mineurs. Avant-dernier du classement de Ligue 1, Monaco est ainsi épinglé pour avoir contourné les règles en la matière. Ce que le club de la principauté conteste.

Ces révélations ont poussé la Fédération française de football (FFF) et la Ligue de football professionnel (LFP) à saisir la commission fédérale du statut du joueur élite de la FFF et la commission juridique de la LFP concernant les conditions de recrutement de deux joueurs mineurs par l’ASM. Lesdites commissions sont chargées de déterminer si le club du Rocher s’expose à d’éventuelles suites disciplinaires et pénales.

  • De quel type de pratiques parle-t-on ?

L’ASM est notamment accusée d’avoir proposé à un joueur de 12 ans des primes anticipées à la signature, accompagnées d’aides au logement et à la scolarité, au titre d’un accord « sous seing privé ».

Par ailleurs, les dirigeants monégasques ont accepté de verser 15 000 euros aux parents d’un enfant de 14 ans alors que le règlement français stipule « qu’un contrat avec un mineur ne donne lieu à aucune rémunération ou indemnité ni à l’octroi de quelconque avantage que ce soit au bénéfice d’un intermédiaire ou d’une personne physique ou morale agissant pour le compte d’un joueur mineur ».

  • Monaco est-il un cas isolé ?

Monaco est loin d’être un cas isolé puisque plusieurs clubs ont été pointés du doigt pour des dérives de ce genre par les « Football Leaks ». Propriété du cheikh Mansour d’Abou Dabi depuis 2008, Manchester City est dans le viseur de la FIFA pour sept transferts illégaux de mineurs. L’académie ghanéenne Right to Dream a, en outre, servi de réservoir et de satellite aux Citizens.

Quant au club londonien de Chelsea, il s’expose à une interdiction de transferts pour quatre mercatos pour des infractions portant sur 19 joueurs, dont 14 mineurs. Le transfert, en 2011 (mais officiellement enregistré en 2014), de l’attaquant burkinabé Bertrand Traoré (actuellement à Lyon) est notamment considéré comme « illégal ».

La célèbre académie Aspire, basée au Qatar, a également été ciblée par les « Football Leaks ». La FIFA a enquêté sur une filière de jeunes joueurs sénégalais, formés par Aspire afin de les envoyer au club belge d’Eupen, à la formation autrichienne du LASK Linz et à l’équipe espagnole du Cultural y Deportiva Leonesa, trois structures achetées par Qatar Aspire Zone Foundation. Ce système servait à détecter des joueurs voués à être naturalisés et à intégrer la sélection nationale du Qatar dans l’optique de la Coupe du monde 2022, organisée par l’émirat gazier.

  • Quel est le cadre légal pour les recrutements des mineurs ?

Le règlement du statut et du transfert des joueurs de la FIFA est censé encadrer strictement le recrutement des joueurs mineurs.

Si, « en principe », le transfert d’un joueur n’est autorisé qu’à partir de ses 18 ans, trois exceptions s’appliquent : « Si les parents du joueur s’installent dans le pays du club pour des raisons étrangères au football » et « si le transfert a lieu à l’intérieur de l’Union européenne ou au sein l’Espace économique européen pour les joueurs âgés de 16 à 18 ans ».

Par ailleurs, les clubs « gérant une académie avec lesquelles ils ont un rapport juridique, économique, factuel sont tenus de déclarer les joueurs mineurs qui fréquent l’académie » auprès de la Fédération sur le territoire de laquelle ladite académie « exerce son activité ».

  • Comment la FIFA agit-elle face aux clubs ?

Alors que le Real Madrid, l’Atlético Madrid et le FC Barcelone ont déjà été sanctionnés par la FIFA pour avoir violé les règlements en matière de recrutement de mineurs, la fédération internationale a « enregistré 3 300 demandes d’enregistrements de transferts concernant des joueurs de moins de 18 ans », par le biais de sa plateforme TMS (Transfer Matching System), selon Mediapart, membre de l’EIC. Soit le double des demandes faites en 2011.

Le site d’investigation indique que la FIFA est « submergée » par ces cas et que « plus de la moitié des dossiers concernant les mineurs et la TPO [tierce propriété des joueurs, interdite par la Fédération internationale depuis 2015] étaient en carence en janvier 2018, non traités par la commission de discipline de la FIFA ».

« Il est clair que la nature spéculative du marché des transferts entraîne les clubs vers une quête agressive en ce qui concerne l’enrôlement sous contrat des joueurs le plus tôt possible, et ce dans un effort de faire des économies sur des honoraires de transferts, estime la Fifpro, le syndicat mondial des joueurs, contactée par Le Monde. Beaucoup de jeunes joueurs qui déménagent pour joindre un club verront leur rêve s’évaporer précocément et ils seront écartés. »

  • La réforme envisagée du marché des transferts peut-elle changer quelque chose ?

Le 26 octobre, le conseil (gouvernement) de la FIFA a entériné, à Kigali (Rwanda), les grands principes de la future réforme du marché des transferts, qui prévoit de réinstaurer une licence d’agent de joueur, de limiter les prêts et de renforcer les mécanismes de solidarité pour les équipes formatrices.

En cette phase de réflexion, la question sensible des joueurs mineurs sera-t-elle prise en compte ? Et ce, dans un contexte de hausse effrénée des prix et de concurrence accrue entre les clubs, enclins à attirer et conserver coûte que coûte de jeunes prodiges.

« Nous soutenons la réforme en cours initiée par la FIFA et d’autres parties prenantes du football pour corriger les défauts principaux dans le recrutement et les négociations, y compris ce qui relève d’une conduite contraire à la morale de la part d’acteurs qui sont guidés par leurs propres motifs financiers au mépris du bien-être d’enfants et de jeunes adultes », observe la Fifpro.

« Bien trop souvent, le transfert de jeunes joueurs devient un combat, au centre des intérêts financiers de clubs. Nous sommes encouragés par nos discussions avec la FIFA et des parties prenantes de football et leur souhait de mettre en œuvre un système d’accréditation obligatoire pour les académies de football afin de s’assurer qu’elles soient soumises à un devoir de protection envers les jeunes joueurs », développe le syndicat.

Des propositions concrètes devraient être mises sur la table en février 2019, lors de la prochaine séance de la Commission des acteurs du football, chargée d’échafauder la réforme du marché des transferts.