Rosa-Maria Da Cruz, à la cour d’assises de Tulle, le 12 novembre. / GEORGES GOBET / AFP

La mère de la petite Séréna, jugée à Tulle pour avoir caché à tous l’enfant pendant près de deux ans, a été confrontée mercredi 14 novembre à ses contradictions, entre le déni d’une grossesse d’une « chose » qu’elle invoque pour sa défense, et les soins objectifs qui ont maintenu un « enfant » en vie, même au prix de carences.

« Je n’arrive pas à me l’expliquer à moi. Donc je ne peux pas vous l’expliquer… » A trois, quatre reprises, Rosa-Maria Da Cruz a fourni cette seule réponse à la cour d’assises de la Corrèze qui tentait, parfois désespérément, d’établir si Séréna avait été pour sa mère une chose, un enfant ou quelque chose « d’intermédiaire ».

L’accusée, entendue pour la première fois longuement au troisième jour du procès, a stupéfié le président en disant avoir menti lors de ses premières auditions, quand elle avait déclaré avoir tôt nommé sa fille Séréna, lui avoir parlé, l’avoir lavée, câlinée parfois.

« Je ne m’en suis jamais occupée, je ne l’ai jamais tenue dans mes bras, je ne lui ai jamais fait de câlins, je ne l’ai nourrie qu’occasionnellement. »

L’accusée a expliqué mercredi avoir alors « menti » aux enquêteurs, puis au juge d’instruction, en « construisant » un tableau plus « positif » vis-à-vis de Séréna, parce qu’un gendarme lui avait indiqué qu’« on allait m’enlever la garde de mes trois enfants, et que je ne les reverrais plus ».

Dans des échanges surréalistes, Rosa-Maria Da Cruz a décliné la main tendue de la Cour, qui l’incitait à reconnaître que malgré tout, même mal, même de façon « inadaptée », elle avait fait « des choses », des « soins » pour cette enfant, comme le prouvent d’ailleurs des éléments objectifs : draps, biberons, vêtements, nourriture, jouets retrouvés dans le coffre où l’enfant vivait une grande partie des journées. « J’avais cette chose », a répété Rosa mercredi à propos de Séréna, collant à sa défense d’un déni de grossesse suivi d’un déni d’enfant. « Ce que je voyais, ce n’était pas un bébé, c’était quelque chose ». Mais « dans mon cerveau, il fallait qu’elle soit en vie ».

« Elle avait conscience d’avoir un enfant »

« C’est terrible d’assister à cela », commentera Me Marie Grimaud, avocate de L’Innocence en danger, partie civile. « Une accusée qui maintient une ligne jusqu’au bout, alors même que l’ensemble des avocats et de la cour vont lui tendre des perches, face à une souffrance, pour l’amener à la vérité criante (…) : elle avait conscience d’avoir un enfant, elle a fait le choix de le garder, de le maltraiter, d’autres fois de le soigner. »

« Il n’y a pas une nouvelle version, il y a cinquante versions de Rosa. Il n’y a pas de capacité à s’expliquer, à élaborer une version », a déclaré Me Chrystèle Chassagne-Delpech, analysant la déposition de l’accusée, pour qui elle entend plaider l’acquittement. « Pendant deux ans, c’est une femme qui a été dans un tel état de sidération à l’accouchement [de Séréna en secret] qu’elle n’a pas la capacité de pouvoir dire exactement comment elle s’est occupée de cet enfant ». « La vérité, on ne la saura peut-être jamais. Mais ce que l’on sait, c’est que certaines femmes [en déni de grossesse] tuent et Mme Da Cruz, elle, ne tue pas », a-t-elle insisté.

Auparavant mercredi, comme mardi, la cour avait entendu sœurs, nièces et proches venir faire bloc autour de Rosa, en évoquant entre sanglots « quelqu’un de très bien », la « mère aimante » de trois enfants. Même si ses proches ont peu évoqué Séréna, au point que le président de la cour, Gilles Fonrouge, s’en est ému. « Il y a une solidarité qui s’exprime (…) beaucoup d’empathie pour Mme Da Cruz, mais (…) on a l’impression qu’on occulte un peu ce qu’a pu vivre cette enfant » et le fait « qu’elle présente un handicap jugé irréversible », a-t-il relevé. D’où la piste, relevée par une partie civile, que le déni invoqué par la défense dans ce dossier est peut-être au moins autant le déni du cercle familial de l’accusée, bloc qui la protège mais évite de la confronter à la réalité.

Elle risque vingt ans de réclusion, pour violences suivies de mutilation ou infirmité permanente sur mineur de 15 ans par ascendant. Séréna, en famille d’accueil depuis sa découverte en 2013, souffre d’un « déficit fonctionnel à 80 % » et d’un « syndrome autistique irréversible ».

Un expert psychiatre jeudi explorera la personnalité de l’accusée et le concept de « déni d’enfant », avant les premières plaidoiries.