Des « gilets jaunes » bloquent l'accès à une zone commerciale à Cabriès près de Marseille.« / Patrick Gherdoussi pour "Le Monde"

Quand Annabelle, 52 ans, a écrit sur son gilet jaune « Tous unis contre le pouvoir dictatorial », elle n’imaginait pas qu’elle se retrouverait quelques heures plus tard cernée par un cordon de CRS. Elle fait partie d’un petit groupe de « gilets jaunes » pris en étau et retenus plusieurs minutes samedi 17 novembre au matin, avenue d’Iéna à Paris, près de l’Arc de triomphe. « C’est quoi ce pays où on nous interdit de manifester ? On nous soupçonne de je-ne-sais-quoi. Et les médias, à 90 % ils sont pour le gouvernement, ils ne disent pas ce qui ne va pas. »

Cette assistante administrative dans une entreprise manifeste pour la première fois. « J’en ai eu marre de râler devant ma TV, j’avais envie de dire qu’il y a des choses qui ne me plaisent pas. » Ses 1 300 euros net par mois, « c’est trop pour avoir des aides, mais pas assez pour vivre correctement », explique-t-elle. « On nous enferme dans un système : ferme ta bouche, va bosser et paye tes taxes, c’est ça notre vie ! »

N’ayant eux non plus jamais manifesté avant ce samedi, Franck, peintre en bâtiment, et Sylvie, comptable, ont découvert qu’il y a toujours un moment où l’on doit faire face aux CRS. Surtout quand la manifestation n’est pas déclarée. Chef d’une petite entreprise dans le bâtiment, Anthony, 38 ans, n’en revenait pas d’avoir été « parqué » Porte Maillot tôt le matin, parce qu’il était du mauvais côté du trottoir. « Les flics prenaient des photos, c’est du fichage ! Je n’avais vu ça qu’une fois, quand j’avais été à un congrès de François Bayrou ! »

« Nous, le petit peuple »

Ils étaient en réalité exceptionnellement nombreux, partout en France, à connaître le même baptême de manifestation. Séduits par le fait que la mobilisation n’était faite à l’appel d’aucun syndicat ou parti politique, mais initiée par un « mouvement citoyen ». Et poussés par une envie commune d’exprimer un « ras-le-bol général » contre leurs fins de mois difficiles et le « mépris » d’Emmanuel Macron.

C’est le cas de John, à Strasbourg. Les manifestations d’habitude, « ce n’est pas [son] truc », « mais là je suis pour le peuple » explique-t-il. « On va vers le néant, on est bouffés petit à petit. Ma fille, je ne peux pas lui payer des études pour qu’elle ait une situation et puisse bien gagner sa vie plus tard. Ça me révolte. Il faut le faire tomber, ce gouvernement. Ce n’est pas aux pauvres de donner aux riches. »

Ancien du bâtiment, Laurent Boitelle, 59 ans, n’avait lui non plus jamais manifesté. Mais le jeune retraité de Déville-lès-Rouen, en proche banlieue rouennaise, en a ras le bonnet : « Cinquante euros de moins sur ma retraite. Voilà ce qu’on m’a pris avec la hausse de la CSG. Macron avait pourtant dit qu’il n’y toucherait pas ! » Jamais affilié « à un parti ou un syndicat », Laurent est venu seul, après s’être inscrit sur un groupe Facebook :

« On se rencontre, on discute, c’est super. Mais il faut que nous, le petit peuple, soyons encore davantage solidaires. Car Macron ne lâchera rien ».

A Paris, en fin de journée, d’autres néophytes ont découvert que, même en promettant de ne rien casser, on ne pouvait manifester impunément devant l’Elysée. Certains ont ainsi goûté leurs premiers gaz lacrymogènes. « Pour une première, on est servis ! », pouvait-on entendre parmi les quintes de toux.

Notre sélection d’articles sur les « gilets jaunes »

Retrouvez les contenus de référence du Monde.fr sur le mouvement à l’origine des manifestations du 17 novembre :