Barcelone – ici le 31 janvier 2018 – est devenue l’un des bastions de la résistance à l’ubérisation des villes. / ALBERT GEA / REUTERS

C’est la grand-messe annuelle de la « tech » urbaine, l’un des rendez-vous les plus prisés de la ville connectée. Sécurité, mobilité, habitat intelligent… dans le vaste hall d’exposition du Smart City Expo World Congress (SCEWC) de Barcelone, les plus grandes entreprises mondiales étaient venues de loin, Dubaï, Israël ou Shanghaï, pour présenter du 12 au 15 novembre dans la cité catalane leurs plates-formes centralisées ou leurs systèmes de pilotage clé en main de la ville de demain.

Avec ses canapés fabriqués à partir de palettes de chantier, le stand des « Sharing cities » (villes du partage) tranchait au milieu de ce temple de la « data urbaine ». Pendant trois jours, des conférences y ont été organisées autour de la participation des habitants et des modèles économiques coopératifs.

L’alliance des « Sharing cities » regroupe 42 métropoles ou grandes villes (dont Amsterdam, Athènes, Atlanta, San Francisco, Montréal…) unies contre les « impacts négatifs » de l’économie de plates-formes. Dans une déclaration commune publiée le 12 novembre, elles ont adopté dix grands principes pour encadrer les négociations avec les acteurs de l’économie de plates-formes, comme Airbnb ou Uber. On y trouve, entre autres, le respect des droits du travail et des utilisateurs, la transparence des algorithmes, la souveraineté des municipalités, l’intérêt général et le respect des besoins et du contexte des habitants…

Entreprises socialement responsables

Un autre de leurs objectifs est de promouvoir des entreprises socialement responsables à l’échelle locale. Encore timide, un écosystème alternatif commence à voir le jour autour de projets numériques sous licence libre, dont les outils peuvent être partagés et mutualisés d’une ville à l’autre. Le modèle économique de ces initiatives repose non pas sur la propriété du logiciel mais sur l’accompagnement et les services associés, ou sur la création de coopératives dotées de règles de gouvernance horizontales.

C’est notamment le cas de Fairbnb, un collectif qui développe une plate-forme en réaction à « l’absence de régulation, de transparence et de responsabilité » d’Airbnb. « Notre outil est à la disposition des collectifs d’habitants qui veulent créer des coopératives locales et sont soucieux de l’impact des locations de courte durée sur le voisinage », précise Sito Veracruz, coordinateur du projet.

Dans le domaine de la mobilité, deux coopératives locales, Som mobilitat (Barcelone) et Partago (Gand, Belgique) ont codéveloppé un logiciel de partage de véhicules électriques et veulent créer « une coopérative à l’échelle européenne », selon Lukas Reichel, coordinateur technique du projet catalan. Seize voitures circulent dans l’agglomération de Barcelone.

Résistance à l’ubérisation des villes

Ce n’est pas un hasard si la conférence annuelle des « Sharing cities » s’est tenue au SCEWC de Barcelone, après New York (2016) et Amsterdam (2017). La capitale catalane est aujourd’hui l’un des bastions de la résistance à l’ubérisation des villes et vient de lancer avec New York et Amsterdam la coalition des villes pour les droits numériques.

Elue en 2015 sur un programme baptisé « Barcelona en comù » (Barcelone en commun), sa maire, Ada Colau, a déployé des standards éthiques et de transparence pour les projets numériques de la ville. « Nous voulons redonner aux citoyens la souveraineté et le contrôle démocratique sur les outils déployés. Nous avons besoin d’alternatives décentralisées et qui respectent leurs droits », assure Francesca Bria, responsable de l’innovation de la municipalité.

Il s’agit de faciliter la participation des habitants à la prise de décision municipale tout en protégeant leur vie privée

Initiative emblématique de cette politique, la plate-forme Decidim, lancée au début de 2017 en collaboration avec des chercheurs de l’Université ouverte de Catalogne, vise à faciliter la participation des habitants à la prise de décision municipale tout en protégeant leur vie privée. Financée à 90 % par la municipalité, elle est sous licence libre, c’est-à-dire que son code est ouvert et peut être copié, modifié et utilisé par d’autres collectivités.

« Beaucoup de villes investissent dans des solutions numériques privées, c’est dommage, explique Arnau Monterde, chercheur et membre de l’équipe. Le secteur public paye des compagnies qui capturent et centralisent les données. A Barcelone, nous croyons que l’argent public doit être investi dans des projets publics qui servent les Barcelonais et peuvent profiter à tous. »

Decidim est traduite en dix-sept langues et utilisée par plusieurs villes et collectivités en France (la ville de Nancy, la métropole de Lille, la région Nouvelle Aquitaine, le département du Loiret…).