Au « marché des Congolais », à Luanda, le 13 novembre 2018. / RODGER BOSCH / AFP

« Ça va mal. » Perchée sur son tabouret, Delta jette un regard désabusé sur son paquet de téléphones chinois. « Je vois bien quelques clients en fin de mois, quand ils ont touché leur salaire, mais le reste du temps ils ne sont pas là », râle la vendeuse.

Faute de Bourse des valeurs ou de sondage sur le moral des ménages, c’est sur les grands marchés de Luanda qu’il faut prendre le pouls économique de l’Angola. En plein cœur du quartier populaire de Rangel, celui dit « des Congolais » bat son plein dans son habituelle débauche de bruits, de couleurs et d’odeurs. Mais le cœur n’y est pas. Un an après l’élection du président Joao Lourenço, le « miracle » promis pour sortir le pays de la crise se fait attendre.

Accoudée à son comptoir, Teresa Pereira affiche une mine à peine plus réjouie que les quartiers de viande dont son associée peine à éloigner les mouches en agitant une tapette en plastique. « Je vends du porc ici depuis plus de vingt ans, dit en soupirant la bouchère. Pendant longtemps, ça a bien marché. Mais depuis la crise [de 2014], c’est très difficile à cause du marché informel. Les gens vendent maintenant dans la rue, et ici les clients se font rares. »

Chômage de masse

A la fin d’une guerre civile meurtrière en 2002, l’Angola a connu une décennie de croissance spectaculaire nourrie par son pétrole, dont il est le deuxième producteur africain après le Nigeria. Mais à partir de 2014, la chute des cours du brut, qui fournit 70 % des revenus de l’Etat, a plongé le pays dans la récession.

Victime d’un chômage de masse, la population, très pauvre, ne survit que grâce au marché noir et au commerce parallèle, qui, selon les observateurs, pourrait aujourd’hui représenter jusqu’à 90 % de l’activité économique angolaise. Désespérément en quête de revenus, le gouvernement a décidé, au début de novembre, de faire la chasse aux zungas, ceux qui règnent en maîtres absolus sur le commerce informel.

« Dans notre société et dans nos centres urbains règnent le désordre et l’anarchie », a déploré le commandant en chef de la police, le général Paulo de Almeida, en lançant l’opération « Restgate » (« sauvetage », en portugais) : « Notre but est de rétablir l’ordre public et l’autorité de l’Etat. » Ses hommes ont fondu en masse sur les quartiers populaires de Luanda et fermé de nombreuses boutiques illégales, souvent tenues par des étrangers.

« Ils font une grosse erreur »

Sous la halle surchauffée du marché des Congolais, les commerçants respirent un peu. « La situation s’est un peu normalisée », explique Elisabeth Lumbunga, 43 ans, les mains dans une bassine d’eau dont débordent les légumes qu’elle s’apprête à vendre : « Si tous les vendeurs informels viennent ici au marché pour faire leurs affaires, les clients reviendront forcément. »

Sous le portrait du chef de l’Etat qui domine son bureau climatisé, Carla Lubata, l’administratrice du marché, a les yeux rivés sur la courbe des taxes qu’elle perçoit des vendeurs. Celle-ci remonte. « L’opération empêche les gens de vendre dans la rue, nous avons déjà un marché un peu plus rempli, se réjouit-elle. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour nous. On espère que l’économie va repartir rapidement. »

Principales cibles du nettoyage gouvernemental, les commerçants étrangers, souvent clandestins, en doutent. Il y a cinq ans, Emmanuel Chizondu, 33 ans, a quitté son Nigeria natal pour refaire sa vie à Luanda. Jusqu’au début du mois, il dirigeait une petite affaire de vente de pièces détachées automobiles, illégale mais plutôt prospère. « La crise a pesé sur nous mais on s’en sortait, l’Angola est un pays plein d’opportunités, confie-t-il. Je comprends qu’ils veulent remettre de l’ordre dans leur pays, mais ils font une grosse erreur. Ils ont fermé ma boutique et mes cinq employés angolais ne peuvent plus travailler. Aujourd’hui, ils pleurent. »

Récession prévue en 2018

« C’est bien de vouloir assainir le climat des affaires, renchérit un diplomate en poste à Luanda. Mais cette opération transparence asphyxie les gens qui vivaient avec très peu. La situation sociale est extrêmement préoccupante. »

Malgré les efforts du gouvernement pour contrôler sa dette et l’inflation ou faire revenir les investisseurs étrangers, les prévisions restent maussades. Le Fonds monétaire international table sur une nouvelle récession en 2018 (– 0,1 %). « Le développement de l’Angola sera assuré par la rigueur, la discipline, l’efficacité et le patriotisme », répète le ministre des finances, Augusto Archer Mangueira.

Pas de quoi rassurer pour l’heure Joao Domingos, un vendeur de chaussures. « Pour l’instant, Joao Lourenço a surtout fait des réformes politiques, note-t-il. Il y a eu quelques progrès dans la lutte contre la corruption, mais moi, je ne sens pas la différence. J’espère que ce sera le cas dans quelques années. »