Ils sont nombreux, ces maires de France réunis en congrès à Paris du 20 au 22 novembre, à avoir vu certains de leurs administrés, samedi 17 novembre, revêtir un gilet jaune et clamer leur colère, leur ras-le-bol, leur angoisse aussi. Jusque dans les communes les plus reculées de l’Hexagone, comme à Montferrier, dans l’Ariège, 601 habitants. Pour Frédéric Laffont, le maire (divers), « c’est la première manifestation de cette nature » qu’il observe dans son village. « C’est la basse classe moyenne, des gens qui gagnent le smic ou autour, qui sont submergés par les traites et les impôts et qui n’en peuvent plus, constate-t-il. J’en ai même dans mon conseil municipal. »

« La plupart du temps, ce sont de braves gens qui expriment une angoisse plus que de la colère, estime Christian Estrosi, maire (LR) de Nice et président, lui, d’une métropole de plus d’un demi-million d’habitants. Il est du devoir du gouvernement de l’entendre, même si ce n’est pas de la faute du gouvernement actuel. » A la différence de son « frère ennemi », le député des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, il ne s’est pas mêlé aux manifestants, estimant que ce n’était pas son rôle.

Un « ras-le-bol de tout »

Il y a trois ans de cela, plusieurs milliers de personnes manifestaient à Guéret, dans la Creuse, pour la défense des services publics. Un combat que Michel Vergnier, le maire (PS) de la ville, épousait, même s’il appartenait alors à la majorité parlementaire. Aucun rapport, note-t-il, entre les manifestants de 2015 et les « gilets jaunes » de 2018. « Ceux qui sont aujourd’hui dans la rue n’avaient jamais manifesté à l’appel d’un parti. Pour la plupart, c’est leur première manifestation. Ils disent “ça suffit de payer, on n’en peut plus”. Ils en ont ras-le-bol de tout, mais ce ne sont pas des gens violents », observe ce militant socialiste de longue date.

Nombre d’élus voient dans ce mouvement le symptôme d’une crise de l’aménagement du territoire. « Nous avons à nous interroger sur le modèle qui a été encouragé, qui a poussé une partie des classes moyennes à aller habiter en périphérie parce que les centres-villes étaient trop chers, analyse Cathy Lucas, maire (PS) de Lanmeur (Finistère). Cette population qui habite en campagne mais travaille en ville a besoin d’un véhicule pour aller travailler, parce que les moyens de transport alternatifs n’existent pas. »

Elle se dit inquiète pour l’avenir. « Nous sommes dans une évolution sociétale qui nous oblige à trouver des réponses que les politiques n’ont pas. De plus en plus de jeunes couples, dès le 20 du mois, n’y arrivent plus, une fois payées les factures et les traites d’emprunt, poursuit l’élue. Je comprends que cette tranche de population soit en colère, parce que les choix politiques sont faits par des technocrates qui ne connaissent pas la réalité des petites gens. Mais ce qui est terrible, c’est que cette classe moyenne va se tourner vers l’extrême droite, alors qu’elle n’apporte aucune solution. »

Un mouvement des « interstitiels »

Non loin de là, à Plounéour-Ménez (Finistère), 1 250 habitants, le maire, Jean-Michel Parcheminal, a revêtu, seul, un gilet jaune sous son écharpe tricolore. « Pour le symbole, pour leur montrer ma solidarité. En tant qu’élu, nous vivons leurs souffrances. Ce n’est quand même pas normal que nos enfants n’arrivent pas à vivre décemment de leur travail », assure cet ancien militant des gauches syndicales et politiques. « On sent aujourd’hui sourdre un ras-le-bol général, ajoute-t-il. Les taxes sur le carburant n’ont été que le déclencheur d’un malaise profond, qui s’exprime en dehors de toute organisation, de manière spontanée. Cela n’a rien à voir avec ce qu’on a connu avec les Bonnets rouges », en 2013, en réaction à la mise en place de l’écotaxe pour les véhicules de transport de marchandises.

Absence de structuration, mouvement essentiellement périurbain, traduisant « une angoisse existentielle, un sentiment de déclassement et un constat d’impuissance », selon Agnès Le Brun, la maire (LR) de Morlaix (Finistère), le constat est largement partagé. « Les sociologues ont une expression pour désigner cette France périurbaine : ils parlent des interstices. Nous sommes des “interstitiels”, relève la vice-présidente de l’Association des maires de France. Mais il ne faut pas oublier qu’un Français sur deux habite dans une commune de moins de 10 000 habitants. Ce qui s’exprime là, c’est un cri : on est des invisibles, des inaudibles, mais nous existons. »