Des sculptures de l’ancien Royaume du Bénin exposées au musée du Quai Branly à Paris dont le Bénin demande la restitution. / GERARD JULIEN / AFP

Editorial du « Monde ». Quand Emmanuel Macron a annoncé à Ouagadougou (Burkina Faso), le 28 novembre 2017, sa volonté de rendre à l’Afrique subsaharienne une partie de son patrimoine artistique, on ne pouvait que trouver injuste, comme lui, que la quasi-totalité du patrimoine africain soit conservée dans des collections publiques et privées de l’hémisphère Nord. Et, en conséquence, considérer qu’il était temps tout simplement de remédier à cette profonde inégalité. Le président de la République avait-il alors à l’esprit ce que préconise le rapport qu’il a demandé à deux universitaires, l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy et l’économiste sénégalais Felwine Sarr, et ébruité quelques jours avant sa publication officielle ?

Ce rapport demande que tout objet qui aurait été emporté sans le consentement explicite, ou, du moins, très vraisemblable, des propriétaires ou gardiens des œuvres puisse être restitué aux pays africains qui en feraient la demande. Sont concernés non seulement les butins et pillages de guerre, ce qui n’est pas contestable, mais aussi les collectes des ethnologues et, au-delà, tout objet qui serait passé entre les mains d’un soldat, fonctionnaire ou missionnaire colonial et aurait été donné plus tard par ses héritiers à un musée.

Voie maximaliste

Plus que les modifications des lois patrimoniales que ces restitutions exigeraient – et qui ne posent pas de problèmes insurmontables –, il paraît délicat de se prononcer sur le consentement en l’absence de toute archive, ce qui est très fréquent.

Que la colonisation ait été synonyme d’oppression et d’exploitation ne fait aucun doute. Que tout objet soit considéré automatiquement comme le produit d’une spoliation peut paraître néanmoins simpliste, ne serait-ce qu’en raison de la pratique des commandes passées à des artistes africains par ou pour des amateurs européens.

A demander des mesures systématiques, les auteurs du rapport courent le risque d’aller à l’encontre de ce qu’ils réclament. Car s’engager dans cette voie maximaliste ne serait pas sans risque en France : on imagine sans peine le tollé si des collections nationales venaient à être détruites.

A l’étranger aussi

Une autre question, internationale celle-ci, ne manquerait pas de suivre. Les musées français sont loin d’être seuls à conserver une partie du patrimoine africain. En Europe, le British Museum à Londres, les musées de Berlin, Bruxelles, Hambourg, Leipzig ou Lisbonne détiennent des ensembles non moins importants. Mais ni le Metropolitan Museum de New York ni l’Art Institute de Chicago ne sont en reste. Il est dès lors très peu probable que le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les Etats-Unis se sentent tenus de suivre les injonctions du rapport Savoy-Sarr.

Cela ne signifie pas pour autant que ces institutions soient indifférentes au problème de la restitution. Sans le proclamer bruyamment, plusieurs de ces musées se sont ainsi engagés dans des discussions avec des pays africains victimes de pillage. Au mois d’octobre, un accord a été esquissé entre le Nigeria et le groupe dit « de Benin City », qui réunit la plupart des musées conservant les bronzes et ivoires pillés en 1897 dans l’ancienne capitale du royaume des Edo, pour faire en sorte qu’ils soient à nouveau visibles dans leur lieu d’origine. Ce pragmatisme est-il moins efficace que l’énoncé de principes généraux, surtout quand ceux-ci sont difficilement applicables ?

Le chiffre : 90 000

C’est, au minimum, le nombre total de pièces africaines que posséderaient les musées français, selon l’évaluation quantitative livrée par le rapport Savoy-Sarr : près de 70 000 dans le seul Musée du quai Branly-Jacques Chirac et, officiellement, 17 636 dans une cinquantaine d’autres établissements. Ceux-ci se trouvent, sans surprise, dans des villes portuaires (Cherbourg, Le Havre, La Rochelle, Bordeaux, Nantes, Marseille), mais aussi à Rennes, Lyon, Grenoble, Toulouse, Besançon, Dijon et à Paris (Musée de l’armée et Hôtel de la Monnaie). Mais, précise une note de bas de page : « Faute d’informations fiables au moment de la rédaction de ce rapport, cette estimation ne tient pas compte de collections pourtant importantes, celles de Marseille et du Havre, par exemple. On peut donc considérer que l’estimation présentée ici est très inférieure à la réalité. »