Le contraire aurait, finalement, été décevant de la part d’un capitaine qui n’aime rien tant que frapper là où on ne l’attend pas. Exit Lucas Pouille, le numéro un français, Yannick Noah a encore une fois provoqué des mines écarquillées en choisissant, pour défier les Croates lors des deux premiers simples de la finale de la Coupe Davis, vendredi 23 novembre, Jérémy Chardy et Jo-Wilfried Tsonga. Le premier affrontera Borna Coric, le second, Marin Cilic.

Ultime coup de poker de Noah, qui vit sa dernière sélection sur le banc. L’année dernière au même stade, le capitaine avait préféré, au dernier moment, Richard Gasquet à Nicolas Mahut pour disputer le double face à la Belgique, provoquant un psychodrame qui a longtemps laissé des traces chez l’Angevin – qui sera sur le terrain, samedi, avec son binôme attitré, Pierre-Hugues Herbert.

Cette fois, il a décidé de miser sur Jo-Wilfried Tsonga, 259e joueur mondial et absent sept mois cette saison après une opération au ménisque gauche au printemps. Certains ont, un peu vite, dressé le parallèle avec la finale de 1991 contre les Etats-Unis, quand Noah, à la surprise générale, avait aligné un Henri Leconte tombé au 159e rang mondial après une grave blessure au dos. Le pari s’était avéré gagnant et Leconte avait signé l’une des plus grandes victoires de sa carrière en écœurant Pete Sampras.

« Pas un saut dans l’inconnu »

Au vu du peu de références du Manceau cette saison (5 victoires, 6 défaites), n’est-ce pas un saut dans l’inconnu, lui demanda-t-on jeudi, après le tirage au sort ? « Franchement ? Pas du tout. Oui, il y a des joueurs qui ont fait de très bons matchs en janvier-février, mais là, on est dans le présent. Certains vont arriver en manque de confiance, d’autres en manque de repères, le but c’est de prendre les meilleurs », a argumenté Noah.

Mardi, à l’entraînement, Tsonga avait connu une petite alerte à l’épaule droite, se faisant strapper. A croire qu’il a été suffisamment rassurant pour que son capitaine ne juge pas prendre un risque. « Le choix a été très subtil, mais je pense que la force de notre équipe, c’est d’avoir la possibilité de jouer avec trois joueurs de simple [depuis cette année, le capitaine peut s’appuyer sur 5 joueurs au total et non 4], on a quasiment joué tous les tours avec des équipes différentes, c’est ça qui fait notre cohésion, a développé Noah. Et avec ce que j’ai vu depuis trois semaines, j’ai pensé que la meilleure chose pour l’équipe était de commencer vendredi avec ces deux joueurs. Tout en sachant que Lucas [Pouille] est prêt à rentrer à tout moment. »

Casquette enfoncée jusqu’au front, regardant ses pieds, le Nordiste tentait, lui, de faire bonne figure malgré la déception évidente. Pouille répétait depuis des semaines son envie de terminer sa saison sur cette finale à domicile, après une année cauchemardesque. Une éjection du top 10, seulement onze matchs gagnés en neuf mois sur le circuit, un divorce avec son entraîneur historique, Emmanuel Planque : le numéro un français, 32mondial, ne nie pas l’évidence, cette saison s’apparente à « la pire année de sa vie ».

Depuis que Noah est revenu aux affaires, son poulain a été aligné à chaque fois qu’il était opérationnel. Jeune premier pour son baptême face à la République tchèque à Trinec en 2016, ou propulsé leadeur en l’absence de Tsonga en avril 2017 face à la Grande-Bretagne, le capitaine lui avait jusque-là maintenu sa confiance quelles que soient les circonstances. Y compris en demi-finales face à l’Espagne mi-septembre, quand son moral était au plus bas. En cas de défaillance de Chardy ou Tsonga, il peut encore espérer entrer sur le court dimanche.

« L’intouchable »

Si le numéro un croate, Marin Cilic, s’est dit « un peu étonné », s’attendant à le voir aligné au côté de Tsonga, le capitaine croate, Zeljko Krajan, lui, a assuré qu’il s’y attendait : « On sait que Noah a toujours des jokers dans sa poche. Et je me disais que ça pouvait être Chardy. » Le choix du Palois n’est pas vraiment une surprise : depuis le forfait de Richard Gasquet, sa sélection était devenue presque logique quand on connaît ses qualités de « terrien » et ses statistiques en Coupe Davis (invaincu sur terre battue indoor).

Peut-être parce qu’il sentait venir le procès sur sa légitimité éventuelle, Jo-Wilfried Tsonga a multiplié les petites phrases d’autopersuasion : « Je suis très heureux que Yannick m’ait fait confiance », « j’ai le sentiment d’avoir ma place », « si Yannick m’a appelé, c’est que j’étais prêt », ou encore « je pense sincèrement que j’ai ma place et j’espère le prouver ce week-end ».

On peut croire le capitaine quand il assure avoir été bluffé par la qualité des entraînements de son joueur ces trois dernières semaines. On peut aussi avoir à l’esprit que Noah doit en grande partie son retour en grâce, en septembre 2015, grâce au lobbying de Richard Gasquet et… Jo-Wilfried Tsonga, surnommé par les mauvaises langues « l’intouchable ».

Lundi, comme s’il anticipait, Noah avait eu ces mots : « Parfois, peut-être que certaines décisions que je prends peuvent paraître risquées. Mais il n’y a pas de risque en fait. La seule chose que j’essaie de faire, c’est de m’écouter tranquillement, de faire abstraction de tout ce qui se passe, à gauche et à droite, et seulement me focaliser sur ce que je vois et mon instinct. En assumant tout ce qui pourrait arriver après. » La définition même d’un capitaine. Après tout, il est payé pour ça.