A Saint-Herblain (Loire-Atlantique), le 18 novembre. / SEBASTIEN SALOM GOMIS / AFP

Editorial du « Monde ». On doute que chaque Français connaisse par cœur le texte de l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme, proclamée en 1789 et consacrée par la Constitution de 1958 : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » Mais il ne fait pas de doute qu’ils en ont parfaitement retenu l’esprit, comme le démontrent à cor et à cri les « gilets jaunes » actuellement.

Si la suite que prendra ce mouvement est imprévisible, le message qu’il adresse au gouvernement est, en effet, des plus clairs : bon nombre de Français sont en état d’overdose fiscale. Ce sentiment n’est pas nouveau, et les révoltes contre le poids de l’impôt et des taxes ont jalonné l’histoire du pays. Mais il est devenu, ces dernières années, de plus en plus aigu. L’enquête que nous publions aujourd’hui le confirme de manière éloquente.

« Trop d’impôt tue l’impôt », selon la formule consacrée. C’est ce que pense une grande majorité de contribuables. Deux sur trois jugent que le montant des prélèvements obligatoires est excessif. Trois sur quatre estiment qu’ils contribuent plus au système fiscal qu’ils n’en bénéficient. Plus de quatre sur cinq, enfin, sont convaincus que l’argent des impôts est mal utilisé.

Suppression de l’ISF

Ces réactions s’expliquent aisément. En dépit d’engagements gouvernementaux répétés, la pression fiscale s’est sensiblement accrue depuis quatre décennies, pour atteindre aujourd’hui 47 % du produit intérieur brut. Record d’Europe, ou peu s’en faut. Malgré maintes promesses d’y remédier, le système fiscal est devenu un maquis toujours plus inextricable, opaque, truffé de « niches » et incompréhensible. L’exemple des taxes sur l’essence, qui a servi de détonateur à l’actuel « ras-le-bol » fiscal, en offre un exemple saisissant. Quant à l’usage fait de l’impôt par l’Etat (ou les collectivités locales), il n’est guère surprenant qu’il soit jugé de façon très critique : les restructurations et fermetures de services publics de proximité ici, leur dégradation ailleurs conduisent inévitablement les contribuables à estimer qu’ils n’en ont « pas pour leur argent ».

La conséquence est simple – et inquiétante. A peine plus de la moitié des Français considèrent que payer ses impôts reste un « acte citoyen ». Et derrière ce chiffre se dessinent nettement deux France fiscales : d’un côté celle des classes populaires et des habitants des zones rurales ou périphériques, pour qui le consentement à l’impôt est de moins en moins un évident devoir civique ; de l’autre celle des Français aisés, urbains et diplômés qui continuent, bon gré malgré, à l’assumer. Cette fracture fiscale redouble les fractures sociales et territoriales qui divisent le pays et minent le lien social. De ce point de vue, la suppression partielle de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) restera comme un des marqueurs du quinquennat Macron.

Face à un tel constat, il serait temps que la question de l’impôt sorte du cercle habituel des experts et fasse l’objet d’un sérieux débat national, de nature à redéfinir le système fiscal, à en refonder la cohérence et à en justifier la légitimité, c’est-à-dire la défense de l’intérêt général et de la solidarité collective. Les uns après les autres, depuis vingt ans, les gouvernements évitent d’en prendre le risque. Ils ont tort : à défaut de cette salutaire réflexion collective, ils s’exposent, demain plus encore qu’aujourd’hui, à de périlleuses révoltes fiscales.