Des avocats participent à une manifestation contre la réforme de la justice au tribunal de Bobigny, près de Paris, le 15 novembre 2018. / GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Une justice « déshumanisée » servant une « logique purement comptable » : vent debout depuis des mois contre le projet de réforme de la justice, les avocats se mobilisent à nouveau jeudi 22 novembre dans toute la France, à la veille de l’adoption prévue du texte à l’Assemblée nationale.

Le projet porté par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, entend moderniser une institution à bout de souffle, avec des tribunaux engorgés et des prisons surpeuplées. Il a pour objectif de simplifier les procédures et prévoit notamment leur numérisation ainsi qu’une fusion des tribunaux d’instance et de grande instance.

Réforme par ordonnances

L’adoption d’une loi de programmation, qui aura fait progresser le budget de la justice de 6,7 à 8,3 milliards entre 2017 et 2022, est bien accueillie sur le principe. Mais les grands axes de la réforme sont vertement critiqués.

La fronde pourrait par ailleurs se nourrir de l’annonce surprise faite mercredi par Mme Belloubet sur un sujet hautement sensible : la garde des Sceaux a, pour la première fois, fait part de sa volonté d’utiliser son projet de loi pour permettre une réforme par ordonnances de la justice des mineurs afin notamment de les « juger plus vite ».

Avant même cette annonce choc, plus de 80 barreaux sur 164 avaient voté la grève mercredi soir et au moins une centaine devrait rejoindre le mouvement jeudi matin. Les principaux syndicats de magistrats ont apporté leur soutien au mouvement.

« Deux éléments ont mis de l’huile sur le feu », a expliqué à l’Agence France-Presse (AFP) Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux (CNB), qui représente les 68 000 avocats de France. Principaux griefs : la fusion des tribunaux d’instance (TI, rebaptisé « tribunal de proximité ») et des tribunaux de grande instance (TGI), et une réforme pénale qui renforce encore les pouvoirs du procureur, au détriment du juge et des droits de la défense, selon avocats et magistrats.

L’expérimentation d’une spécialisation des cours d’appel, initialement prévue dans deux régions sur treize, a par ailleurs été étendue à cinq par amendement. Pour le CNB, « à ce niveau-là, ce n’est plus une expérimentation ».

Sort incertain du juge d’instance

Les magistrats sont eux particulièrement préoccupés par le sort du juge d’instance, qui tranche les petits litiges civils du quotidien (dettes impayées, expulsions locatives, tutelles). L’Union syndicale des magistrats (USM), premier syndicat de magistrats, souligne que le siège, le ressort et les compétences du futur « tribunal de proximité (…) seront fixés plus tard par décret de sorte que rien ne garantit le maintien de tous les sites actuels ni le traitement sur les sites maintenus des contentieux actuellement traités ».

En matière pénale, les avocats dénoncent des droits de la défense et des victimes « diminués de manière drastique ». Pour les robes noires, le projet de loi aurait pour conséquence la disparition pure et simple de l’avocat dans plusieurs procédures en privilégiant la médiation et les règlements amiables des différends, ou encore en développant la justice « en ligne ».

Les avocats ont obtenu sur ce point, lundi, un soutien de poids : le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a dénoncé les mesures clés de la réforme, estimant qu’elles allaient « porter atteinte à l’accès au droit des justiciables, notamment des plus fragiles ». La ministre a riposté mercredi, dénonçant les « contre-vérités » de M. Toubon. « Ce n’est pas éloigner le justiciable, c’est au contraire lui donner un accès supplémentaire. D’autre part, nous garantirons toujours dans tous les tribunaux, avec les services d’accueil uniques du justiciable, le fait qu’une personne puisse être reçue physiquement », a-t-elle déclaré sur LCI.

Autre sujet de mécontentement : l’expérimentation de tribunaux criminels départementaux, à mi-chemin entre tribunal correctionnel et cour d’assises. « C’est une étape vers la disparition des cours d’assises » et du jury populaire, a dénoncé Christian Saint-Palais, président de l’association des avocats pénalistes.