Frank Buhler, le 21 novembre, à Montauban (Tarn-et-Garonne). / PASCAL PAVANI / AFP

« Vous devez tous à pied, à cheval et en voiture parcourir la totalité des rues de Paris. » Frank Buhler a récidivé. Dimanche 18 novembre, l’ancien militant du Front national du Tarn-et-Garonne a diffusé une nouvelle vidéo sur Facebook, relayant cette fois l’appel à bloquer la capitale, samedi 24 novembre, pour l’acte deux de la mobilisation des « gilets jaunes ».

Quatre minutes face caméra qui comptabilisent plus de 250 000 vues à ce jour, soit loin des 4,5 millions réunis sur sa vidéo devenue virale, fin octobre… mais assez pour être présenté par certains médias comme l’« initiateur » du mouvement, et bénéficier du micro de France Bleu Occitanie, lundi, pour appeler à une « invasion gigantesque » de Paris. Un journaliste britannique de la BBC l’a même contacté sur Twitter, pour évoquer la mobilisation contre la hausse des carburants.

Frank Buhler n’est pas peu fier de se retrouver « sous les feux de la rampe », depuis qu’il a poussé son « petit coup de gueule » à 4,5 millions de vues sur Facebook. Ironie de l’histoire : jusqu’au dernier moment, le quinquagénaire ne savait pas s’il se joindrait aux blocages du 17 novembre. Peut-être irait-il, racontait-il au Monde trois jours avant, mais loin de son domicile : « Là où personne ne me reconnaîtra. » Le community manager est finalement allé passer « quelques heures » sur le pont de son propre village, nous rapporte-il vendredi, assez pour poster un cliché sur son blog politique.

Mais il ne se sentait plus tout à fait le bienvenu depuis que son identité partisane avait été découverte : ancien cadre du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, Frank Buhler est récemment passé de l’ex-Front national au parti souverainiste de Nicolas Dupont-Aignan, Debout la France.

Buhler « ne fait pas du tout parti du mouvement »

Un militantisme qui a agacé plusieurs organisateurs des « gilets jaunes ». Eux répètent que leur mouvement est « apolitique ». « J’ai même plus les mots tellement ça m’énerve », se contient Brice Telki, face caméra et cigarette à la main. Le jeune agent de sécurité, pompier volontaire et chef de file des « gilets jaunes » à Saint-Etienne, a appelé ceux qui l’ont relayée à supprimer la vidéo de Frank Buhler, parce que, « du coup, des gens disaient que c’était repris par la fachosphère ». Même hantise de la récupération politique pour le routier de Seine-et-Marne Eric Drouet, qui évoquait Frank Buhler en ces termes, fin octobre : « Il fait pas du tout parti du mouvement, il a juste fait une vidéo de soutien, mais nous on ne le soutient pas du tout. »

Frank Buhler, lui, se défend de « faire sa pub » sur le dos du mouvement. Sa carte d’adhérent à Debout la France est « rangée dans un tiroir », assène-t-il. Seulement, le militant poste toutes ses vidéos sur son blog politique, dénommé Patriosphère Infos, et confie lui-même avoir partagé la première sur des groupes « patriotes », sur Facebook. S’en est suivie une « explosion délirante » de partages « jusque sur le groupe des Amis du camping-car ». Par des internautes qui n’avaient donc aucune idée que M. Buhler partageait certaines des thèses de l’extrême droite.

Depuis, « on m’a traité de facho un nombre de fois incalculable », résume celui qui serine qu’« on ne peut plus rien dire » et chérit Vladimir Poutine. En décembre 2017, un message sur Twitter aurait entraîné son exclusion du FN. « Pauvre inculte, les “chiffres arabe” viennent d’Inde ! Ils ont juste été “transportés” en occident par les arabes. Les arabes n’ont JAMAIS rien inventé. Problème de QI ? » (sic), avait-il écrit en réponse à un internaute. « J’ai conscience que, sorti du contexte, c’est limite… J’aurais dû dire “la civilisation arabe” », se défend-il, insistant pour que soit bien écrit qu’il avait démissionné du FN « en premier ».

Frank Buhler ne voit pas pourquoi il devrait « renier » ce qu’il pense pour pouvoir enfiler un gilet jaune. « Ok j’ai mes idées, ok je suis contre les migrants, mais là, c’est autre chose », conclut-il en « rêvant » d’une journée où Jean-Luc Mélenchon, Laurent Wauquiez et Marine Le Pen défileraient main dans la main. La grande majorité des « gilets jaunes » rêvent, eux, justement d’une journée sans eux.

Notre sélection d’articles pour tout comprendre aux « gilets jaunes »

Les origines du mouvement :

Carburant, pouvoir d’achat : les raisons de la colère

La tentation de la récupération politique

Que va devenir le mouvement ?

Nos chroniques et tribunes