Des « gilets jaunes » près de l’aéroport de Sainte-Marie, à La Réunion, jeudi 22 novembre. / Fabrice Wislez / AP

Personne ne s’attendait à ce que le mouvement des gilets jaunes prenne une telle ampleur à La Réunion. Depuis déjà sept jours, l’île est paralysée par les barrages routiers. Conséquence des très grandes difficultés à se déplacer, d’un début de pénurie de carburants, des perturbations au port et à l’aéroport et du couvre-feu partiel instauré mardi, la vie économique est au point mort depuis une semaine.

Aucun secteur n’est épargné. La plupart des commerces, bars et restaurants ont baissé le rideau, les chantiers sont à l’abandon, les services à domicile stoppés, les maraîchers et canniers ne peuvent pas livrer leur production, certains éleveurs sont dans l’impossibilité de nourrir leurs animaux…

Ibrahim Patel, le président de la chambre de commerce et d’industrie de La Réunion, lance un cri d’alarme : « Depuis le samedi 17 novembre, nous avons perdu 500 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le commerce ! » Le secteur compte 143 000 salariés dans le département. Selon lui, « 40 % d’entre eux n’arrivent pas à se déplacer correctement pour aller travailler ». En ce qui concerne les exportations, il chiffre les pertes à 10 millions d’euros.

Du côté de l’artisanat, le constat est tout aussi préoccupant. « Nos entreprises ont besoin de pouvoir circuler librement pour tourner », déplore Bernard Picardo, le président de la chambre de métiers et de l’artisanat de La Réunion. La filière, qui fait vivre 43 000 familles sur l’île, enregistre aujourd’hui 30 millions d’euros de perte de chiffre d’affaires à cause du mouvement des « gilets jaunes », qui ne faiblit pas depuis le premier jour.

« Les entreprises qui parviennent à ouvrir n’ont pas de clients ou subissent des pressions pour fermer. C’est grave », ajoute-t-il, soulignant que cette situation est sans précédent à La Réunion. « Les entreprises du BTP, elles, seront pénalisées par la suite pour les retards sur les chantiers », prévient Bernard Picardo. Le ton est grave : « Là, on compte les pertes de chiffre d’affaires. Dans quelques semaines, on comptera le nombre d’entreprises qui auront mis la clé sous la porte. »

« C’est un quatrième cyclone »

Les agriculteurs tentent également de se faire entendre ces derniers jours. Déjà fortement impactés par trois cyclones qui ont frappé La Réunion en début d’année, ils sont aujourd’hui au bord du gouffre. Le président de la chambre d’agriculture, Jean-Bernard Gonthier, énumère les calamités qui s’abattent sur le secteur : 100 000 litres de lait produit localement jetés en l’absence de collectes, 550 tonnes de fruits et légumes destinés au marché de gros en attente dans les champs, 90 000 tonnes de cannes à sucre par terre, ne pouvant être transportées jusqu’aux usines, qui, elles, sont à l’arrêt complet.

Des pierres et des débris jetés par des manifestants près de l’aéroport de Sainte-Marie, à La Réunion, jeudi 22 novembre. / Fabrice Wislez / AP

Dans ces conditions, les planteurs craignent de ne pas pouvoir aller au bout de la campagne sucrière, qui doit prendre fin en décembre. A cela s’ajoutent les élevages qui meurent, puisqu’il est toujours très compliqué de faire parvenir aux animaux la quantité de nourriture nécessaire.

« Pour nous, c’est un quatrième cyclone », se désole le président de la chambre verte. Et quand bien même les « gilets jaunes » accepteraient de laisser circuler tous les agriculteurs, « il n’y a plus de marchés et pas de commerces à réapprovisionner », renchérit Jean-Michel Moutama, vice-président de la confédération générale des planteurs et éleveurs de La Réunion (CGPER), principal syndicat agricole de l’île. Lui-même a environ 60 tonnes d’ananas à faire acheminer jusqu’à Rungis. Impossible. Ces fruits sont toujours sur son exploitation. Pour limiter la casse, il essaie d’en « brader » sur le bord des routes.

Des réunions de crise qui s’enchaînent

Ces derniers jours, les réunions de crise s’enchaînent chez tous les acteurs de la vie économique, dépassés par les événements. Car personne ne sait quand ce chaos prendra fin dans le département. Les « gilets jaunes » sont parvenus à ouvrir le dialogue avec le préfet, Amaury de Saint-Quentin, vendredi, mais les blocages se poursuivent.

Ce qui est sûr, c’est que toutes les filières se mobiliseront pour obtenir que La Réunion soit déclarée zone de catastrophe économique et bénéficie d’un fonds d’aide d’urgence. La Chambre de commerce et d’industrie de La Réunion a envoyé un courrier à l’Etat en ce sens, cette semaine. « Il va falloir des mesures exceptionnelles », insiste M. Picardo, de la chambre des métiers et de l’artisanat.

De son côté, le Medef Réunion demande un moratoire sur les dettes fiscales et sociales des mois de novembre et décembre, avec un étalement du paiement sur trois mois en février, mars et avril 2019. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), elle, sollicite la mise en place d’un plan d’urgence pour obtenir des reports de charges, notamment. Autant de doléances qui devraient être présentées de vive voix à la ministre des outre-mer, Annick Girardin, qui a fait savoir jeudi qu’elle se rendrait à La Réunion « dans quelques jours ».