Au musée du Quai Branly, à Paris, lors de l’expostion « Dogon », en avril 2011. / Charles Platiau / Reuters

Le rapport que les universitaires Felwine Sarr et Bénédicte Savoye remettent, vendredi 23 novembre, au président français, Emmanuel Macron, préconise une restitution sans conditions aux Etats africains qui en feraient la demande, d’objets pillés ou acquis à vil prix durant la période coloniale, soit quelque 46 000 objets détenus dans les collections publiques. Avant même d’être rendu public, le document a été torpillé par certains critiques qui redoutent de voir soudain les musées français vidés de leurs collections.

« Arrêtons les exagérations. Ce n’est pas parce qu’on pose la question de la restitution que les camions sont déjà devant le Quai Branly pour tout récupérer, ironise la Franco-Béninoise Marie-Cécile Zinsou, qui dirige le musée du même nom à Ouidah. Les Français doivent arrêter de regarder la question uniquement sous leur angle, ils doivent voir ce que cela peut changer pour l’Afrique. Récupérer, ce n’est pas juste avoir une porte, deux masques et un trône, mais retrouver une dignité ! »

« Collection fantôme »

Directrice depuis 2006 du Musée des civilisations de Côte d’Ivoire, à Abidjan, Silvie Memel Kassi préfère dépassionner le débat. Son musée fondé en 1949 a été pillé, rappelle-t-elle, dans les fracas de la guerre civile en 2011. Quelque 121 objets manquent à l’appel, une « collection fantôme » à laquelle l’institution rend hommage par un manifeste publié jeudi avec un objectif : protéger le patrimoine et refuser que les trésors nationaux ne tombent dans l’oubli. « Le trafic illicite et la corruption ont aussi existé dans nos rangs », soupire-t-elle. Et de poursuivre :

« Il ne faut pas que les demandes de restitution se fassent dans un esprit jusqu’au-boutiste. La Côte d’Ivoire est modérée sur la question. »

Pour elle, les choses doivent être réglées sans précipitation ni hystérie :

« Il faut voir ce qui est parti en bonne et due forme et ce qui ne l’a pas été. On me dit que si on procède de la sorte, les musées ne donneront que ce qu’ils veulent donner. Mais sommes-nous réellement en mesure de savoir ce qui a fait l’objet de pillages et ce qui a été donné ou acheté ? Sur quelle base allons-nous faire le travail de tri ? Il faut être réaliste, mener un travail collégial de coopération et de partenariat avec les musées français. Nous ne sommes pas en guerre avec eux. On estime que des dispositions doivent être prises pour que certains objets reviennent, mais on salue l’effort de la France de les avoir conservés. Quoi qu’on dise, ces objets ont aujourd’hui une double nationalité. »

Ancien directeur du Musée national du Mali, Samuel Sidibé se veut également tempéré :

« Le rapport a effectué un travail gigantesque, mais nous ne sommes qu’au début du débat. Il ne faut pas le crisper, car autrement on tombera dans la même situation que la restitution par les Britanniques des frises du Parthénon à la Grèce, qui est au point mort. La vraie question pour moi est moins celle de la propriété de ce patrimoine que de sa visibilité en Afrique. »

Des musées en piteux état

Ministre de la culture du Sénégal, Abdou Latif Coulibaly est plus radical :

« La restitution est logique et normale. Les détenteurs des objets pris sans consentement n’en sont pas les propriétaires légitimes. Le Sénégal est prêt à accueillir ces objets ! »

Le pays inaugurera le 6 décembre, à Dakar, le Musée des civilisations noires, qui, selon Abdou Latif Coulibaly, ne sera « ni ethnographique, ni chromatique ». Pour son coup d’envoi, l’institution compte sur une cinquantaine de prêts du musée du Quai Branly, du Muséum d’histoire naturelle du Havre et des Invalides. Si cet établissement de 14 000 m2 correspond apparemment aux normes internationales de conservation, beaucoup de musées africains sont toutefois dans un piteux état. Mais, pour Abdou Latif Coulibaly, « la question matérielle est une fausse question » :

« Ce qui compte, c’est l’engagement politique ! Au Sénégal, nous avons des experts et nous en formerons d’autres. »

« Bien sûr, les Etats africains doivent être responsables, mais cela ne regarde pas les Français, qui ne doivent pas mettre de conditions à la restitution, renchérit Marie-Cécile Zinsou. On ne peut pas nous dire : “On ne vous rendra que si vous êtes à même de vous en occuper” ! La restitution poussera les Etats à créer des musées et à les rendre accessibles. »

Car la jeunesse africaine ne demande qu’à se réapproprier ce passé dont elle a été coupée. L’exposition du trésor royal de Béhanzin à la Fondation Zinsou, en 2006, a attiré 275 000 visiteurs en trois mois. Et le Musée des civilisations de Côte d’Ivoire, qui, en 2006, ne comptait que 8 000 usagers par an, principalement occidentaux, affiche depuis sa réouverture, en 2017, plus de 100 000 visiteurs, pour moitié des locaux.