Entre un vol de téléphone portable et la revente de quelques grammes de cocaïne, un cas épineux occupait la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris, celle des comparutions immédiates, jeudi 22 novembre : un couple de lesbiennes a été victime d’une agression ; mais s’agit-il d’une agression homophobe ?

Les plaignantes, deux jeunes femmes pacsées de 27 et 25 ans, sont catégoriques : c’est à partir du moment où l’une a appelé l’autre « bébé » sous les yeux du prévenu que les insultes et les coups ont commencé à pleuvoir sur elles. Le prévenu, un jeune homme de 19 ans, est tout aussi catégorique : son accès de violence n’avait rien d’homophobe, et comment cela pourrait-il être le cas puisqu’il se dit bisexuel ?

En ne poursuivant l’agresseur que pour « violences volontaires », mais pas « à raison de l’orientation sexuelle », le parquet avait déjà quasiment tranché le débat. Le tribunal a achevé de le faire, en laissant à son tour cette circonstance aggravante de côté, tout en prononçant une lourde peine : un an de prison.

« Parcours très chaotique »

L’incident s’est déroulé le 25 septembre, entre les stations Havre-Caumartin et Saint-Lazare, sur la ligne 3 du métro parisien. Il est minuit passé ; Lorraine et Ombeline se trouvent dans la même rame qu’Arthur, dont l’enceinte portable crache de la musique dans tout le wagon. Lorraine demande au jeune homme de baisser le son. « Je suis fatigué, me cassez pas les couilles », répond-il. « Les coups, raconte Ombeline à la barre, sont venus à partir du moment où j’ai dit à ma compagne : “Bébé, laisse tomber, on va dormir.” »

Arthur devient alors furieux, traite les jeunes filles de « sales gouines » et de « sales pétasses », et se rue sur Lorraine, qui se retrouve rapidement au sol, chemise arrachée. Ombeline tente d’intervenir et reçoit des coups. Quand les agents de la RATP présents à Saint-Lazare interviennent, Arthur a le genou sur la tête de Lorraine. Elle est inconsciente ; il lui frappe le visage.

La jeune graphiste s’en tire avec une incapacité temporaire de travail de dix jours, le visage tuméfié, une dent cassée, deux dixièmes en moins à l’œil gauche. Elle n’est pas spécialement militante, mais, en sanglots à la barre, dit ne pas comprendre que le caractère homophobe n’ait pas été retenu par le parquet. « Je suis homo, ça fait partie de mon identité. Quand on traite quelqu’un de sale gouine, c’est très dur pour notre communauté. »

Arthur se lève. Son aspect juvénile, sa coupe d’enfant de bonne famille et sa bonne élocution ne l’empêchent pas de laisser une impression déroutante, visage impassible, ton neutre. Une anomalie : ce jeune homme avait tout pour réussir, mais s’est arrêté au brevet des collèges, et a déjà été condamné huit fois pour diverses bêtises de jeunesse quand il était mineur. « Parcours très chaotique », « troubles du comportement », « grosse opposition aux parents », énumère le président du tribunal. L’intéressé évoque sa vie sociale limitée, son addiction au cannabis et à l’alcool, les soins qu’il a toujours refusés.

Parole contre parole

Il se rappelle avoir bu un verre le soir des faits, puis s’être réveillé à l’hôpital, mais pas le reste. « Je ne pense pas avoir prononcé le mot “gouine”, qui est un mot honteux. Etant donné mon orientation sexuelle, je n’aurais jamais pu. A vous de me croire ou pas. » Ni témoin ni vidéosurveillance : c’est parole contre parole.

« Il est important de retenir le caractère homophobe, vu le contexte extrêmement hostile, plaide Me Maïa Kantor, avocate de plaignantes. Elles n’ont jamais un geste tendre l’une envers l’autre en public, car elles savent que les violences sont de plus en plus fréquentes. Si le caractère homophobe n’est pas prouvé, d’accord. Mais au moins, discutons-en. »

« Il n’y a pas suffisamment d’éléments pour affirmer de manière certaine que c’est l’orientation sexuelle des victimes qui a motivé l’agression, répond la procureure. Tout ne démarre pas, comme dans certains dossiers, parce que quelqu’un voit un couple de même sexe s’embrasser ou se tenir la main en pleine rue. »

Me Paul Aprile, avocat du prévenu, parle d’un « garçon turbulent qui a besoin de soins, et n’en bénéficiera jamais en prison, où il ne fera que perdre du temps. Faites en sorte que sa détention soit la plus courte possible, afin que son hospitalisation arrive le plus vite possible ». La procureure réclame 18 mois ferme, et 12 avec sursis. Le juge en donne 12 ferme, et 18 avec sursis, avec une obligation de soins psychiatriques. Pour la justice, ce jeune homme qui repart à Fresnes (Val-de-Marne) – il a déjà fait deux mois de prison – n’a pas commis d’agression homophobe.